Des revendications décalées
Ce fil Twitter de Vivre Avec (dont je vous recommande vivement le travail, et que vous pouvez soutenir ici) explique pourquoi l’insistance de certaines personnes neurodivergentes à se distancier du terme “handicap” est gênante et illogique.
Le rejet en bloc du terme ‘handicap’ par beaucoup de personnes neuroatypiques me chiffonne vraiment, surtout quand l’explication avancée est que la neuroatypie n’est pas un handicap mais un fonctionnement différent de celui qui est accepté par la société, pour moi justement c’est ça la définition du handicap : un fonctionnement différent de celui admis par la société, qu’il soit psy*, cognitif, physique… Le handicap c’est social, c’est pas quelque chose d’acquis et de gravé dans les gènes : quand je suis en fauteuil, je suis handicapée parce que mon environnement n’est pas adapté, il n’y a pas de rampes, pas d’ascenseurs, forcément ça va moins bien fonctionner pour moi. Et quand d’autres personnes neuroatypiques m’expliquent qu’elles ne voient pas ça comme un handicap, j’ai l’impression qu’elles me renvoient à la figure qu’être handicapé·e est quelque chose de mal ou de honteux, et c’est assez violent. Après je ne les blâme pas elles, même si ça peut en donner l’impression (déso pour ça), je me doute bien que c’est parce que le terme handicap est si violemment utilisé par la majorité des gens pour désigner quelque chose qu’il faut “soigner” ou “éliminer” que pour certain·e·s la solution est de le rejeter en bloc. Mais perso c’est une réaction qui me fait beaucoup de mal, parce que j’ai l’impression qu’on pourrait s’entraider et en fait non… Dernier point : pour moi la différence entre le handicap et la maladie, c’est que la maladie on cherche à la soigner, et le handicap c’est l’environnement qui pose problème (manque d’accessibilité, d’adaptations, d’aides, de considération…) (& on est d’accord que la base du problème c’est le validisme qui a fait du handicap quelque chose d’horrible à éviter à tout prix)
Certaines personnes militent carrément pour que l’autisme soit reconnu comme une différence et non comme une situation de handicap, ce qui a le don de m’énerver (exemple concret : cette association).
Dépathologiser une condition c’est une chose, prétendre qu’elle ne constitue pas un handicap dans notre société validiste en est une autre ! Il faut être sacrément privilégié·e pour dire quelque chose d’aussi dangereux pour toutes les personnes autistes dont la survie et le bien-être dépend des aménagements alloués aux personnes en situations de handicap (RQTH, AAH, tiers-temps, emploi du temps aménagé, etc).
Des termes mal compris
Dans un contexte francophone, parler de handicap est difficile car le vocabulaire est assez restreint. En anglais, il y a différents termes utilisés : “disabled” qui pourrait se traduire littéralement comme “désactivé, désempouvoiré”. Pour “valides” il y a “able-bodied” et “abled” et ce sont deux choses distinctes. Ces nuances n’existent pas en français, regrettable. En anglais on distingue “impairment“, “handicap“, “disability“. En français c’est toujours le même mot. Cet article en anglais explique très bien ce problème. De plus, en France les termes “en situation de handicap” sont utilisés en français sans que cela s’assortisse d’une réflexion sur ce qui peut être fait collectivement pour que la situation soit différente. C’est souvent considéré comme la formulation “politiquement correcte”, mais le traitement des personnes handicapées n’est pas automatiquement plus respectueux pour autant.
Le modèle social du handicap méconnu
Trop peu de personnes ont entendu parler du modèle social du handicap. Voici, pour rappel, quelques ressources à ce sujet :
- [article, 4 min] Qu’est-ce que le modèle social du handicap ? https://ithacadroitshumainsetvulnerabilites.wordpress.com/2014/07/27/quest-ce-que-le-modele-sociale-du-handicap/
- [vidéo en français, sous-titres FR, 14 min] Qu’est-ce qu’un handicap ? https://www.youtube.com/watch?v=ncdV7E2jb00
- [article, 10 min] Le modèle social du handicap, article du CLE Autistes https://cle-autistes.fr/ressources/le-modele-social-du-handicap/
- [recommandation / fiche de lecture, 8 min] L’expérience handie de Pierre Dufour https://dcaius.fr/blog/2019/03/23/experience-handie-pdufour/
- [masterpost] Qu’est-ce que le validisme ? Collection de liens par ParmiLesRécits https://parmilesrecits.wixsite.com/parmilesrecits/single-post/2018/10/30/Quest-ce-que-le-validisme
Légitime à se dire handicapé·e ?
J’ai souvent entendu des personnes autistes expliquer qu’elles ne se désignaient pas comme handicapées alors que leur quotidien correspondait à la définition que l’on en fait, et cela par sentiment d’illégitimité, surtout vis-à-vis de personnes autistes qui sont également malades chroniques. Nombre de personnes neurodivergentes ont un diagnostic officiel et pourtant, ne savent pas qu’elles ont des droits en tant que personne handicapée, que leur refuser des aménagements est illégal par exemple…
Alors, que ce soit clair, il n’y a pas besoin d’attendre de morfler H24, 7j/7, pour être handicapé·e et pour se revendiquer handicapé·e. Et c’est le lot de la plupart des personnes ayant des conditions chroniques (même des maladies incurables) de douter à cause d’une période d’accalmie, et de se dire “Je ne suis pas légitime, j’arrive à faire des choses, je ne vais pas si mal, je prends la place de personnes qui souffrent davantage”.
Le handicap n’est pas juste une question de ressenti individuel, c’est une condition d’oppression systémique. C’est tout à fait “normal” d’avoir ce genre de doutes… Mais le fait d’avoir une bonne journée ne fait pas disparaître le validisme ni l’ensemble des symptômes que l’on peut avoir sur la durée.
Être handicapé·e, ce n’est pas, comme semblent le penser un grand nombre des personnes valides, “ne pouvoir rien faire” ou “avoir besoin d’assistance 24h/24”. Être handicapé·e c’est vivre dans un monde qui nous exclut parce que nos capacités sont différentes.
Si notre société était conçue de manière profondément excluante des personnes myopes, que se procurer des lunettes de vue était si coûteux que cela pouvait prendre 4 à 5 ans, qu’obtenir des aménagements nécessitait des démarches humiliantes, que la plupart des panneaux n’étaient pas lisibles pour les personnes myopes malgré la difficulté de se procurer des lunettes, que l’on soupçonnait toute personne myope qui se déclare myope de mentir pour avoir des “avantages”… La myopie serait considérée comme une situation de handicap, à raison.
Des euphémismes
Le terme “non-valide” est parfois utilisé par certaines personnes ; des personnes valides mais aussi des personnes qui se rendent bien compte qu’elles ne sont pas valides mais hésitent à adopter le terme “handicapé·e”. Vivre Avec vient de publier une vidéo à ce sujet que je vous recommande vivement : “Je déteste le terme non-valide” (sous-titres FR disponibles).
Moi non plus je n’aime pas du tout ce terme qui centre l’expérience valide une fois de plus. Il peut être délicat de s’approprier “handicapé·e” car c’est un terme stigmatisé et que l’on réserve souvent aux personnes circulant en fauteuil. Beaucoup de personnes valides semblent étonnées que nous nous disions handicapé·e·s sans honte. L’utilisation de la locution “en situation de handicap” est intéressante pour souligner la dimension contextuelle du handicap, mais elle est finalement souvent utilisée pour éviter “handicapé·e”, comme si c’était une insulte.
Prendre en compte la diversité des vécus handi
Cela étant dit, la prudence est de mise lorsque l’on parle en tant que personne handicapée sur le sujet du handicap : je vous recommande de garder à l’esprit qu’il n’y a pas UN vécu handi, mais une multitude. Il y a des revendications communes et des vécus communs, mais ce n’est pas parce que l’on est autiste que l’on sait ce que c’est d’être paraplégique, et vice-versa. Je vous encourage à être tout particulièrement attentif·ves à cela, et ici comme ailleurs à appliquer l’adage “Stay in your lane” : ne pas parler à la place des concerné·e·s. C’est important de se rappeler que d’autres personnes autistes (ou autrement handi) vivent très différemment de soi, que partager un diagnostic ne signifie pas que l’on a le même quotidien. Beaucoup d’autres aspects peuvent influer sur nos expériences du handicap (les moyens financiers que l’on a, si l’on subit le racisme ou le sexisme, l’homophobie ou la transphobie, entre autres).