Trauma religieux et spirituels : le deuil

Dans cet article, j’aimerais traiter d’un des aspects courants des traumas religieux et spirituels : leurs conséquences sur les processus de deuil, et plus généralement le rapport entretenu à la mort.

[Je précise ici que je ne prétends pas condamner la gestion du deuil chez tou·tes les croyant·es ou tou·tes les chrétien·nes. Il est tout à fait possible de gérer de manière sensible et compétente le décès de quelqu’un et l’accompagnement de quelqu’un qui n’est pas croyant dans son deuil, pour certaines de ces personnes. Cet article met en avant certaines situations qui malheureusement sont courantes, mais ne prétend pas faire le procès de tout un groupe de personnes en généralisant grossièrement.]

Lorsque l’on s’extrait d’un milieu religieux familial, et qu’une des personnes de cette famille décède, se rendre à la cérémonie d’hommage pour la personne défunte peut être très difficile du fait du trauma religieux, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il est possible qu’il y ait un danger pur et simple à fréquenter à nouveau la communauté religieuse que l’on a fui, par exemple si l’on est une personne trans qui n’y est pas out. Les réactions face à la transition sont parfois violentes, notamment lorsque les gens justifient leur transphobie par leur foi. Même lorsque l’on ne craint pas pour sa vie, devoir fréquenter à nouveau des personnes que l’on sait transphobes (ou homophobes, lesbophobes, etc), surtout lorsque l’on est en deuil et en besoin fort de soutien, peut être très éprouvant, et dissuader d’assister à la cérémonie.

Même si l’on ne craint pas pour sa vie ou son intégrité physique, se rendre aux funérailles religieuses de quelqu’un après avoir quitté la communauté religieuse en question peut être très réactivant. Dans certains cas, cela peut aussi être suffisant pour éloigner quelqu’un des funérailles, l’isolant dans son deuil.

Pour les personnes qui ont eu à vivre des deuils au sein d’une communauté fondamentaliste, la gestion de la situation est parfois si dysfonctionnelle qu’elle est profondément traumatisante. Ainsi, certain·es chrétien·nes évangéliques se défendent d’être triste de la mort de quelqu’un : leur croyance est que la personne est avec Dieu, et il n’est donc pas de bon ton de s’en attrister. Quelle que soit la croyance vis-à-vis de l’au-delà, on peut reconnaître que le décès de quelqu’un représente une perte individuelle, et représenter de la tristesse pour soi et l’entourage de la personne décédée ; mais certain·es chrétien·nes évangéliques en sont incapables, et répriment dogmatiquement de tels ressentis chez elleux et chez les autres.

Il arrive aussi que la cérémonie d’enterrement et d’hommage à la personne défunte mette une emphase sur l’évangélisation, essayant de convertir au christianisme les personnes qui assistent à la cérémonie. Cela peut être vécu comme profondément déplacé par ces personnes, qui sont là pour rendre hommage à la personne défunte et faire leur deuil, pas pour être accablé·es d’injonctions à se convertir.

Dans certains cas, le dogmatisme de certain·es croyant·es les empêchent de respecter le deuil d’autrui du fait de leur croyance que la personne défunte s’en est allée en enfer, ou du moins ne sera pas bien accueillie dans leur conception de l’au-delà. Cela peut être le cas si la mort résulte d’un suicide, ou même tout simplement si la personne ne partageait pas leurs croyances chrétiennes. Cela peut bien entendu être très violent à recevoir lorsque l’on fait son deuil.

Outre les questions strictement relatives aux funérailles, le processus de deuil peut justement être rendu difficile car cela remue des enjeux autour de la mortalité et de l’au-delà. Dans certains milieux chrétiens, ce qu’il se passe après la mort est d’une importance primordiale : il faut “sauver les âmes”, guider les autres vers la vie éternelle, etc. Il est tout à fait possible de s’extraire d’un tel milieu religieux et de revenir à une forme de spiritualité ensuite qui offre des pistes de réflexion et des repères quant à l’au-delà, mais beaucoup de personnes traumatisées par le christianisme fondamentaliste restent très troublées sur ces questions de vie après la mort. Ainsi, il peut y avoir des angoisses résiduelles sur son propre salut, même lorsque l’on ne croit plus au Dieu chrétien. Le doute demeure et peut rendre le processus de deuil d’autant plus dur.

Si vous avez vécu l’une de ces situations et eu des difficultés marquées à vivre un deuil du fait du fanatisme de personnes de votre entourage, je vous envoie de la compassion, et mes encouragements.

Une réflexion au sujet de « Trauma religieux et spirituels : le deuil »

  1. Merci pour cet article très intéressant, dans lequel je ne retrouve beaucoup. J’ai grandi chez les Témoins de Jéhovah. Ma mère est décédée à mes 17 ans, de manière très brutale dans un accident de voiture. Je me souviens qu’à l’époque j’avais déjà de nombreux doutes sur la doctrine religieuse, mais que je n’ai jamais pu vraiment les exprimer, par peur des interrogations que cela aurait suscité chez ma famille et dans la congrégation.

    Le deuil de ma mère a été très long, et même retardé de plusieurs années, jusqu’à ce que je puisse me retirer du mouvement, à mes 21 ans. Je me souviens que c’était une torture pour moi de devoir répéter sans arrêt que j’étais impatient de revoir ma mère dans le paradis (auquel pourtant je ne croyais pas, mais tel était le dogme officiel, et aucune déviation n’était autorisée). J’ai fini par faire mon deuil par introspection, mais tout seul, isolé… sans contact avec ma famille. J’étais par la suite en mesure d’expliquer à d’autres, mes amis, ce qui s’est passé de manière rationnelle et logique. Mais je me rends compte avec le recul que je racontais mon histoire d’une manière assez détachée. C’est plus le cerveau qui parlait, que le cœur.

    20 ans plus tard, je fais un autre deuil: celui de ce que mon enfance et mon adolescence auraient pu être, si mes parents ne s’étaient pas convertis au jéhovisme. Au lieu de rationaliser, je m’autorise enfin à ressentir de la tristesse au fond de moi, ainsi qu’une certaine colère longtemps réprimée (mais que je trouve saine). J’ose enfin me dire que tout ce qui m’est arrivé est loin d’être normal, même si pour moi cela constituait longtemps “ma normalité” et mon histoire.

    Je me réjouis aussi de voir que les choses évoluent un peu, que des ressources sur le traumatisme religieux et les troubles du c-ptsd commencent à être plus accessibles! Continuons de partager nos expériences 🙂 je reste convaincu que c’est utile!

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