Lecture : Le consentement, Vanessa Springora, dcaius

Lecture : Le consentement, Vanessa Springora

Avertissement de contenu pour cet article : abus sexuels sur mineur·es, prédation éphébophile, relation d’emprise, harcèlement

Le consentement est un livre de Vanessa Springora publié en janvier 2020. Je l’ai emprunté à la bibliothèque et lu d’une traite, et je voulais en parler un peu dans un article.

Le sujet du livre est difficile, puisqu’il s’agit d’un récit autobiographique, où Springora relate sa rencontre et sa relation avec un prédateur sexuel, lorsqu’elle avait 13 ans et lui la cinquantaine. Née en 1972, elle a aujourd’hui elle-même 50 ans.

Il y a quelques temps, une vidéo de l’émission “Apostrophes” de 1990 est devenue virale. L’écrivain Gabriel Matzneff y est interviewé et y parle sans aucune gêne de son goût pour les adolescent·es, expliquant que les femmes plus âgées qui ont connu d’autres hommes se sont “durcies” ; “car comme les hommes sont en général soit des égoïstes soit des lâches, les femmes ne peuvent que se durcir, n’est-ce pas“. Il ajoute “Une fille très jeune est plutôt plus gentille, même si elle devient très très vite hystérique et aussi folle que quand elle sera plus âgée“. Misogynie crasse donc, aucune honte quant à son comportement de prédateur, et aveu explicite qu’il considère que relationner avec des hommes est généralement destructeur pour les jeunes filles et les femmes.

Les autres personnes présentes sur le plateau semblent extrêmement complaisantes au récit de sa prédation éphébophile, sauf une : Denise Bombardier, une chroniqueuse canadienne. Elle le prend à parti sans détours, en disant :

Moi, je crois que je vis actuellement sur une autre planète. Moi, monsieur Matzneff me semble pitoyable. Ce que je ne comprends pas, c’est que dans ce pays, et je le comprends parce que la littérature a une sorte d’aura ici, c’est que dans ce pays, la littérature entre guillemets sert d’alibi à ce genre de confidences. Parce que, ce que nous raconte monsieur Matzneff dans un livre qui est très ennuyeux, parce que la répétition est extrêmement ennuyeuse, le livre finit par nous tomber des mains…

À ce moment, Gabriel Matzneff l’interrompt en l’accusant d’agressivité. Elle ne se démonte pas et poursuit :

Monsieur Matzneff nous raconte qu’il sodomise des petites filles de 14 ans, de 15 ans, que ces petites filles sont folles de lui… On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un monsieur qui a une certaine aura littéraire ; d’ailleurs on sait que les vieux messieurs attirent les petits enfants avec des bonbons. Monsieur Matzneff, lui, les attire avec sa réputation. Mais ce que l’on ne sait pas, c’est comment ces petites filles de 14 ou 15 ans qui ont été non seulement séduites, mais qui ont subi ce que l’on appelle dans les rapports entre les adultes et les jeunes, un abus de pouvoir ; comment s’en sortent-elles, ces petites filles, après coup ? Moi je crois que ces petites filles-là sont flétries, et la plupart d’entre elles flétries peut-être pour le restant de leurs jours.

Gabriel Matzneff l’interrompt à nouveau pour prononcer une menace à peine voilée ; “Heureusement pour vous, je suis un homme courtois“, et qualifier d'”insensé” ce que Bombardier vient de dire. Il l’accuse ensuite de n’avoir pas lu son livre, mais de l’avoir feuilleté. On dirait presque que ce qui l’a le plus chiffonné dans ce qu’a dit Bombardier, ce sont les critiques littéraires. Quel ego ! À la fin de sa tirade, il dit “Je vous interdis de porter ce genre de jugement, d’abord parce qu’un livre, c’est une écriture, c’est un ton, c’est un univers.

Il prétend ensuite que le livre parle d’amour et de séduction réciproque, affirme être “le contraire d’un macho, d’un type qui force qui que ce soit à faire quoique ce soit“. C’est un peu fort de café de la part de quelqu’un qui vient de qualifier les femmes d’hystériques, en avouant sans problème qu’il préfère les filles jeunes car encore naïves sur la nature des violences genrées. Matzneff n’est pas à une contradiction près, et il semble penser que parce qu’il ne contraint personne par la force, parce qu’il ne frappe aucune de ses jeunes victimes, il ne contraint personne. C’est d’une mauvaise foi insurmontable. La violence ne se résume pas aux coups ; l’emprise psychologique est énorme dans les relations abusives ; et une adolescente ne peut s’engager dans une relation d’égal à égal avec un écrivain célèbre de 20 ou 30 ans son aîné !

Vanessa Springora le dit explicitement : Que vaut la vie d’une adolescente anonyme au regard de l’œuvre littéraire d’un être supérieur ?

En lisant Le consentement, un des éléments que j’ai trouvé particulièrement choquant est l’impunité avec laquelle Matzneff a pu abuser de Springora, dans la durée. Je savais qu’il avait entretenu une relation avec elle lorsqu’elle était adolescente ; mais j’ignorais avant de lire le livre la manière dont son emprise s’était prolongée ensuite.

En effet, Matzneff a publié les lettres que Springora lui avait écrites, et ce sans lui demander son accord, bien entendu. Je doute que grand-monde se réjouisse à la perspective que des lettres privées écrites à l’adolescence soient données en pâture au grand public, quel que soit le contexte ; a fortiori alors lorsque le contexte est celui d’une relation d’emprise.

Matzneff a fait subir la même chose à beaucoup d’autres adolescentes tombées dans ses filets. Il a aussi fièrement publié une photo de Spingora adolescente sur internet, en prenant des précautions pour qu’aucun recours ne soit possible : le site était hébergé par quelqu’un d’autre dans un pays étranger.

Matzneff a aussi continué à écrire à Spingora des années durant après leur rupture, chez sa mère, puis sur son lieu de travail. Il ne s’agit donc pas d’un évènement isolé, ou même d’une relation d’une année ou deux qui laisse ensuite une possibilité de tourner la page et se rétablir : on a ici un harcèlement de long terme. Denise Bombardier ne savait pas à quel point elle avait raison. Springora se rappelle ses interactions avec une autre figure littéraire célèbre, Emil Cioran, qui fait également preuve d’une misogynie stupéfiante et qui l’encourage à tolérer les abus et négligences de Matzneff.

Springora raconte qu’à la vingtaine, elle a eu l’occasion de discuter avec une autre des victimes de Matzneff, une dénommée Nathalie. Cela lui confirme que ce qu’elle a vécu n’était pas un évènement isolé, mais qu’elle a été une victime parmi une série d’autres.

Bref, à la lecture de ce livre, on s’interroge inévitablement sur l’impunité dont a pu bénéficier Matzneff pendant la majeure partie de sa vie. Pour rappel, cinq ans après l’apparition télévisée citée en début d’article, Matzneff est honoré par le ministre de la Culture d’alors avec l’insigne d’officier des Arts et des Lettres. En 2004, il est invité au Palais-Bourbon par Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, et par le Haut Conseil français à l’intégration. En 2009, il reçoit le prix Amic, en 2013, le prix Renaudot essai, et en 2015 le prix Cazes.

À l’heure où j’écris ces lignes, Matzneff n’a exprimé aucun remord. Il a, au contraire, déclaré n’avoir pas lu Le Consentement et ne pas souhaiter le faire, et y a répliqué par son propre livre, Vanessavirus (!).

Vanessa Springora positionne sa problématique ainsi : « Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? » Elle y répond ainsi : « Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne. » Vanessa Springora dénonce un dysfonctionnement des institutions, scolaire, policière, hospitalière, etc. La Brigade des mineurs avait reçu des lettres de dénonciation, mais n’avait pas inquiété l’écrivain. Vanessa Springora raconte que deux policiers de la Brigade des mineurs l’ont croisée elle et l’écrivain dans son escalier, mais sont repartis après un échange courtois avec lui, sans un regard pour elle.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Matzneff

Le Consentement aborde en détails un sujet difficile, que beaucoup préfèrent éviter ou caricaturer. On préfère penser que les abus sur mineur·es sont le fait de monstres à la marge, et la complaisance est souvent de mise lorsqu’il s’agirait plutôt de questionner des figures prestigieuses et leurs victimes sous emprise. Cette approche dessert les victimes d’abus.

J’avais déjà écrit précédemment sur la nécessité d’appréhender la situation des adolescent·es face aux abus sexuels avec le respect et les nuances nécessaires, sans infantilisation, sans déni des désirs sexuels authentiques que peuvent resssentir les adolescent·es, et sans obscurcir les abus qui peuvent être excusés par ce biais.

Je pense que la lecture du Consentement peut nourrir ces réflexions, et je salue le courage de Vanessa Springora d’avoir revisité ces évènements particulièrement traumatisants pour elle, afin de pouvoir apporter davantage de clarté sur ces enjeux. Je lui souhaite, ainsi qu’à toutes les autres survivant·es d’abus sexuels dans l’enfance et l’adolescence, de pouvoir trouver toujours davantage de justice et d’apaisement.

2 réflexions au sujet de « Lecture : Le consentement, Vanessa Springora »

  1. Le livre de Vanessa Springora est une exploration courageuse de son vécu. Son écriture captivante et honnête offre une perspective nécessaire sur des questions importantes, un récit puissant qui encourage la réflexion.

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