Prendre ses responsabilités éthiques en tant qu'autiste, dcaius

Prendre ses responsabilités éthiques en tant que personne autiste

Ces dernières années, j’ai plusieurs fois été témoin d’évènements dérangeants concernant d’autres personnes autistes et leur mauvaise foi. Je souhaitais en traiter dans cet article, pour clarifier quelques points qui me semblent importants.

Il y a eu une polémique lorsqu’une personne autiste blanche a appelé la police parce qu’une personne Noire se trouvait en bas de son immeuble. Lorsque le racisme de cette action a été pointé, l’autisme a été utilisé comme excuse. Mais l’autisme et les difficultés sensorielles et/ou sociales qui peuvent en découler n’excusent pas de mettre en danger la vie d’une personne Noire en appelant la police ainsi.

Dans la même veine, j’ai vu une personne autiste blanche défendre le plaquage au sol en commentaire d’une vidéo dans laquelle une personne racisée se faisait plaquer au sol violemment : sa défense de l’acte reposait sur le fait que pour elle, si elle faisait une crise autistique, le geste pourrait être approprié… Tout d’abord, il me semble discutable que plaquer violemment au sol quelqu’un puisse être indispensable ou même utile si la personne est en crise, et je doute que la majorité des personnes autistes s’accordent à dire que cela leur conviendrait. Cela mis à part, cette remarquable était déplacée et contribue à minimiser et excuser des violences racistes.

J’ai aussi d’innombrables fois vu les comportements misogynes de certains hommes autistes excusés par leur autisme. Il y a une différence entre être spontanément franc, et faire des remarques déplacées sur le corps de quelqu’un d’autre alors que personne n’a rien demandé, par exemple. Avoir du mal à comprendre les signaux non-verbaux et la manière de communiquer d’autrui ne peut pas justifier d’outrepasser le consentement de quelqu’un en général. Le fait d’être autiste (ou plus généralement handicapé) est aussi parfois utilisé pour esquiver de participer aux tâches ménagères et se reposer sur le travail domestique genré. Pourtant, je vois nombre de femmes autistes assumer un bon nombre de responsabilités domestiques ; souvent à leur détriment en termes de santé, certes, mais le fossé qu’on peut parfois constater est criant, et raccord avec les normes de genre misogynes au sein du reste de la société. Il serait donc opportun de ne pas se réfugier derrière l’excuse de l’autisme ou d’un autre handicap pour éviter de confronter ses biais sexistes. Nota bene : il arrive que cette tendance soit renforcée par des personnes de l’entourage, par infantilisation. Pour creuser le sujet de l’intersection sexisme et handicap, je vous renvoie au travail de l’association handiféministe Les Dévalideuses.

De manière récurrente, j’ai pu voir l’autisme utilisé comme justification ou excuse pour ne pas respecter d’autres personnes, sur le sujet du racisme, de la transphobie… Par exemple, prétexter une difficulté liée à l’autisme pour continuer d’utiliser des insultes raciales ou de mégenrer quelqu’un.

Rien de tout cela n’est justifiable et excusable par l’autisme. La neurodivergence n’est pas un freepass pour se comporter de manière discriminatoire. Rien d’inhérent à l’autisme ne pousse de manière irrémédiable au racisme, à la misogynie, à la transphobie ou autre forme de haine discriminatoire.

Un des derniers évènements de ce type que j’ai vu concernait les intérêts spécifiques.

Une personne autiste trans a souligné sur une plateforme en ligne qu’avoir un intérêt spécifique pour l’univers de Harry Potter ne justifiait pas de donner de l’argent à une milliardaire transphobe d’extrême-droite qui menace activement les droits des personnes trans (l’autrice de Harry Potter, J. K. Rowling). Une déclaration somme toute raisonnable : on peut conserver un attachement pour une oeuvre de fiction sans pour autant financer la discrimination violente des personnes trans. Cependant, la mauvaise foi transphobe ne semble pas connaître de limites, et s’ensuivit un harcèlement de la part d’autres personnes autistes. Le débat s’est envenimé, et on a vu des propos complètement aberrants.

Certaines personnes ont avancé que l’identité d’une personne autiste tournait autour de ses intérêts spécifiques et qu’il serait donc déshumanisant de demander à une personne autiste de ne plus donner d’argent à J. K. Rowling et de ne plus la soutenir de manière générale. Il me semble indécent de parler de déshumanisation dans ce contexte, alors que les personnes trans subissent un assaut sur leurs droits particulièrement horrible. D’autre part, je vois une différence entre condamner le soutien financier à une personne dangereuse, et condamner l’appréciation d’une oeuvre. Il est possible d’apprécier un contenu sans s’y vouer corps et âme et le défendre contre vents et marées même quand il y a de graves problèmes éthiques, intérêt spécifique ou non. On ne choisit pas forcément ce qui nous émeut ou ce qui nous passionne, mais on peut choisir d’y dédier de l’argent et de soutenir publiquement un·e créateur·ice ou non.

Je ne prétends pas qu’il soit nécessairement facile de se désinvestir d’un intérêt spécifique ou d’y renoncer. Mais ce n’est pas la question. Parfois certains éléments de la vie sont désagréables ou laborieux, cela ne veut pas dire que les esquiver est la bonne (juste, éthique) chose à faire. Je le répète, soutenir des artistes financièrement reste un choix, que l’on soit autiste ou non. Il s’agirait de distinguer “désagréable” et “impossible, abominable, déshumanisant, une attaque à mon identité en tant qu’autiste”. Signaler que soutenir financièrement une personne transphobe est un acte transphobe n’est pas une attaque de la légitimité des intérêts spécifiques en tant que trait autistique. J’aimerais qu’une personne autiste transphobe qui souhaite continuer d’ignorer la transphobie de JKR au nom de sa passion pour un univers de fiction assume ses actes, au lieu de se réfugier derrière l’autisme comme excuse.

Avoir un intérêt spécifique n’excuse pas des actions éthiquement bancales. Cela me stupéfie d’avoir à le clarifier, pour être honnête. Quel standard atrocement bas met-on pour l’humanité si l’on pense sérieusement que le fait d’avoir un intérêt spécifique absout de ses responsabilités éthiques ? Je vous laisse réfléchir aux ramifications.

Il est crucial en tant que personnes autistes de prendre nos responsabilités éthiques. Oui, comprendre les codes sociaux et leurs subtilités peut être plus difficile pour nous, certes. Mais il ne s’agit pas de ça ici. Prétendre qu’être autiste ôte toute agentivité pour prendre des décisions éthiques au niveau relationnel est extrêmement dangereux (et validiste !). C’est cela que je trouve déshumanisant, à titre personnel : prétendre que l’on est complètement asujetti à nos passions et que l’on ne peut en aucun cas s’en détacher par convictions éthiques.

Prendre ses responsabilités éthiques demande de la bonne volonté et des efforts, et ce pour tout le monde, autiste ou alliste. Si l’on refuse de faire ce travail en tant que personne autiste, cela constitue un angle mort majeur des revendications antivalidistes. En effet, l’on souhaite indéniablement une amélioration des droits des personnes autistes. Pour cela, l’on a besoin que les personnes allistes se préoccupent de faire preuve de droiture éthique envers nous. Il paraît donc évident que l’on ne peut pas faire l’économie nous-mêmes de droiture éthique envers d’autres personnes, a fortiori lorsque ces personnes subissent des rapports de force auxquels nous ne sommes pas sujet·tes (par exemple, une personne trans si l’on est soi-même cis, une personne qui subit le racisme systémique si l’on est soi-même blanc·he, etc).

Si vous avez des ressources à recommander, qui vous ont aidé·e dans vos propres cheminements avec les questions d’éthique et de discrimination, n’hésitez pas à les partager en commentaires ! Les questions, remarques et critiques constructives sont aussi les bienvenues.

2 réflexions au sujet de « Prendre ses responsabilités éthiques en tant que personne autiste »

  1. Olala cet article ! Merci merci merci.
    Je m’en vais le diffuser un peu partout. Tu es clair et pédagogique comme toujours.
    J’avais commencé à écrire sur un sujet voisin il y a quelques temps, motivé 1.par une blessure concrète dans ma vie : des abus et agressions subis par un “ami” autiste qui se cachait derrière l’autisme pour ne pas se remettre en question, et qui m’empêchait aussi de le reprendre sur ses propos (ignorants) racistes, classistes, sexistes et transphobes en m’accusant limite d’être validiste contre lui parce que son autisme et son anxiété ne lui permettaient pas de gérer la critique… et
    2.par la discussion constante qu’on a avec mes ami‧es NA et militant‧es, de la différence entre explication et excuse, de comme prendre ses responsabilités et se remettre en question tout en prenant en compte nos traumas et fragilités, qu’est-ce qui est de la nécessaire compréhension des fonctionnements neurodivergents et qu’est-ce qui est de la tolérance de l’oppression, etc.
    Récemment encore, j’ai rencontré un mec autiste alors que je faisais une intervention pour parler de psyvalidisme dans le milieu militant, et il me disait qu’il trouvait justement validiste qu’on lui en veuille qu’il s’adresse à telle personne trans avec son deadname parce que en tant qu’autiste, le changement est difficile… euh… J’ai remis les pendules à l’heure, mais je me suis demandé justement où devait se situer la frontière de tolérance et flexibilité (une autre personne autiste dans le milieu associatif persiste à mégenrer et appeler une personne que je connais par son deadname en avançant sa dyslexie !?).

    En réalité, j’ai écrit des tas d’autres choses aussi sur le sujet plus largement, et sur les milieux militants, mais je ne suis jamais arrivé au bout, justement parce que c’est si complexe, et parce que j’avais peur que ce soit les mauvaises personnes qui me lisent – celles qui sont déjà trop promptes à se remettre en question et qui se pensent abusives et oppressives alors que non – au lieu que ce soient ces personnes qui utilisent l’autisme comme une excuse qui puissent se sentir visés par mes propos.

    Tu fais ça parfaitement, comme toujours. J’espère que cet article aura l’écho qu’il mérite.
    D’ailleurs pour faire la différence entre ce qui devait être “excusé” au nom d’une neurodivergence ou pathologie et ce qui était de l’abus, je me suis aidé de plusieurs de tes articles, dont celui sur les amalgames misogynes et psychophobes.

    Voilà, j’ai raconté ma vie, mais je crois que c’est encouragé ici, parce que ce sont des problématiques complexes, perso je suis preneuse de davantage de témoignages et réflexions sur le sujet !

    1. Salut Charlie,
      Oui, ton partage est bienvenu, et merci de ton retour !
      Je compatis, c’est vraiment pas simple de naviguer ce genre de situations où une personne fait preuve de mauvaise foi et refuse d’examiner ses angles morts au nom de sa neurodivergence. Je me réjouis que l’article puisse potentiellement aider avec ça !
      À bientôt 🙂

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