une fenêtre de messagerie instantanée verte sur fond blanc, il y est écrit "t'es tellement mature pour ton âge"

Prédation éphébophile et mauvaise foi

S’il y a un sujet qui met tout le monde à cran en un temps record, c’est bien la prédation éphébophile. Tout le monde veut absolument avoir un avis dessus, car tout le monde s’estime légitime à en avoir un, et on entend parfois des aberrations sans nom. J’écris cet article avec colère, épuisement, et lassitude. Mais j’espère pouvoir m’exprimer avec clarté et faire réfléchir sur ce sujet, car il y en a bien besoin.

Je vais parler brièvement du dernier cas en date qui a provoqué un enchaînement de réactions, pour contexte, le but étant de me concentrer sur les réactions et pourquoi elles m’insupportent, car ces réactions sont extrêmement prévisibles et ressortent à chaque cas similaire qui émerge. Il n’y a aucune volonté de souligner particulièrement ce cas de figure, et ma description en est donc délibérément floue.

Contexte

Plantons le décor. Plusieurs victimes d’une personne majeure qui a relationné à répétition avec des mineures prennent la parole pour dénoncer ces faits et signaler que cela pose problème. J’utilise le terme “victime” ici car il s’agit bien d’un rapport de pouvoir dont la personne majeure a abusé à répétition. On ne peut pas relationner plusieurs fois avec des personnes mineures “sans se poser la question” : dans ce genre de situations, avec un motif qui se répète ainsi, on sait qu’on a un ascendant sur l’autre mais on choisit de l’ignorer.

“Mais c’est pas de la pédophilie”

Plusieurs victimes, donc, choisissent de prendre la parole pour mettre en garde d’autres victimes potentielles que cette personne majeure et d’autres personnes de son entourage risqueraient de les cibler. Le terme de “pédophilie” est employé. En premier lieu, dans des échanges privés révélés lors du callout, la personne visée l’emploie elle-même. Le terme est ensuite repris par les personnes victimes dans le texte du callout.

Le terme de pédophilie est ici mal choisi, car on ne parle pas de personnes pré-pubères ; éphébophilie serait plus exact. J’en avais parlé dans un article dédié. Cela change-t-il quoique ce soit au fait que la prédation éphébophile est grave et inacceptable ? Non.

Pourtant, de nombreuses personnes reprennent les victimes au prétexte que non, ce n’est pas de la pédophilie. Fort bien, mais cibler des mineur·e·s vulnérables n’est pas quelque chose d’anodin pour autant. Les rapports de pouvoir ne disparaissent pas magiquement à la puberté, ils se modifient certes, mais pas suffisamment pour qu’une relation ado-adulte soit automatiquement équilibrée.

“Mais moi ma relation à cet âge-là elle s’est bien passée”

Un autre poncif de discussions sur ce sujet : “Oui mais moi j’ai eu une relation avec cet écart d’âge-là et ça s’est bien passé”. Alors… On s’en contrefout. Décentrez-vous deux minutes. On a plusieurs victimes pour qui ça ne s’est PAS bien passé qui prennent la parole, pourquoi votre priorité est de les faire taire sous prétexte que VOTRE expérience n’a pas été traumatisante ? Est-ce que vous allez reprendre quelqu’un à chaque fois qu’iel partage ses expériences traumatisantes parce que vous, vous l’avez bien vécu ? Qu’est-ce que c’est que ce cirque ?

“Vous êtes moralistes et puritain·e·s”

On voit des plaintes comme quoi on est étroit·e·s d’esprit, comme quoi on cherche à faire la police, comme quoi on performe quelque chose… Parce qu’on cherche à remettre en question l’idée que des ados seraient systématiquement prêt·e·s à relationner avec des adultes. Et pas n’importe où : dans des milieux queers / féministes. On a complètement quitté le bateau à ce stade.

Alors enfonçons des portes ouvertes : oui, les ados peuvent avoir une sexualité dans l’absolu et non, elle n’est pas forcément traumatisante, et oui il vaut mieux éviter d’infantiliser les ados en faisant l’amalgame entre pédophilie et éphébophilie, mais non, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur les rapports de pouvoirs dans les relations des ados. Si votre première réaction lorsque l’on s’alarme sur des dynamiques de prédation répétées et avérées, c’est de défendre votre droit à la sexualité avec des adolescent·e·s, ma foi, peut-être vos priorités sont-elles douteuses ?

Et dans quel monde alternatif vivez-vous, dites-moi, si vous vous sentez persécuté·e·s lorsque vous défendez ce droit à la sexualité avec des ados ? Car la société est de votre côté. Tout le monde se fiche du sort des adolescent·e·s victimes d’abus sexuels et de rapports de pouvoir au sens large, et j’en sais quelque chose. On a le temps de crever trois fois des conséquences des abus avant que quelqu’un daigne réagir. Ce n’est pas la bonne foi qui vous étouffe. Personne ne vous poursuit avec des fourches si vous salivez devant une ado de 17 ans, c’est la norme médiatique : vous avez déjà oublié Polanski, Matzneff et les autres ? En revanche on nous laisse galérer avec des stress post-traumatiques pas diagnostiqués et des séquelles à vie de relations d’emprise vécues lorsque mineur·e·s. Ayez donc un peu de décence et cessez de manipuler la réalité pour nous présenter comme de vilains moralistes parce que nous demandons un minimum de prise de responsabilité.

Se poser les bonnes questions

Si vous vous arrêtez à “C’est légal” dans vos questionnements éthiques sur les couples ayant une différence d’âge, ne vous étonnez pas que l’on roule les yeux au ciel.

C’est légal, certes. Est-ce raisonnable ? Quels sont les rapports de pouvoir en jeu ? Quelle est la différence d’expérience entre les deux personnes ? Les différences de conditions matérielles ? Comment entendez-vous vous saisir de ces questions-là ? Ces questions-là sont importantes, que la personne la plus jeune ait 18 ans ou non.

Le respect des victimes et des survivant·e·s

Vous avec votre indignation sélective, vous semblez oublier très facilement qu’on vous lit. On vous voit défendre le droit à relationner avec des jeunes comme si votre gagne-pain en dépendait. On se rappelle de nos vécus. On se rappelle comme on nous a laissé·e·s livré·e·s à nous-mêmes alors qu’on était vulnérables. On est pris·e·s à la gorge par le chagrin, les souvenirs, et on en re-fait des cauchemars.

Cessez de vous étonnez que nous oublions de mettre les formes quand on vous reproche votre désinvolture quant à la prédation éphébophile. On devrait s’excuser d’être un peu remonté·e·s quand on parle de nos traumatismes ? C’est le pompon. Excusez-nous du peu. Vos “débats” nous sortent par les yeux, y en a assez.

J’en ai marre. Il est rare que j’écrive des articles aussi abrasifs, mais vraiment, j’ai atteint un point de rage que j’atteins rarement. Revoyez vos priorités, c’est urgent. On en crève de votre négligence.

Encore un peu et je croirais entendre les hommes qui disent qu’ils ont peur de prendre l’ascenseur avec des femmes depuis #MeToo, des fois qu’on les accuseraient de quoique ce soit… Bref. Remettez-vous en question.

Non, vous n’aurez plus le luxe de relationner avec des ados sans vous poser de questions, “sans vous prendre la tête”. Et oui c’est une bonne chose. Il est grand-temps de privilégier la survie et le mieux-être des victimes et survivant·e·s.


Pour les adolescent·e·s qui me liraient : certes, vous n’êtes plus des enfants — et je comprends que cela vous énerve qu’on sous-entende le contraire, moi aussi ça m’énervait fort. Vous êtes des adultes en devenir, et certainement vous êtes déjà des personnes intéressantes et formidables ! Et il est possible, probable même, que vous ayez des sentiments et du désir pour quelqu’un de plus âgé à un moment ou à un autre — ça n’a rien de particulièrement étonnant. Ce n’est pas votre faute ni votre responsabilité si une personne plus âgée n’a pas posé des limites raisonnables entre vous, et le fait que vous “ayez l’air adulte” ou que vous soyez “très mature pour votre âge” n’est jamais une excuse pour la personne plus âgée de ne pas se poser les questions ci-dessus. Je vous encourage à vous documenter sur ce qu’est une relation saine, car vous ne méritez que cela ; être respecté·e·s, apprécié·e·s, et vivre des relations qui contribuent à votre bonheur et votre épanouissement.


9 réflexions au sujet de « Prédation éphébophile et mauvaise foi »

  1. Bravo, je partage votre indignation, votre juste colère devant la mauvaise foi et la tentative de manipulation de la pensée. Votre bon sens a pris le dessus pour dénoncer la prédation qui devient la norme. Je vous remercie de vos publications, de votre lucidité et de votre générosité. En vous souhaitant une vie belle et joyeuse.

  2. J’ai moi-même vécu ma première histoire d’amour à l’âge de 14 ans à l’époque et mon petit-ami avait 20 ans selon ses dires… Il cachait sa carte d’identité et paraissait plus vieux. Je pense qu’il avait plutôt dans les 28-30 ans. Quand j’y repense, maintenant que j’ai 31 ans, je trouve ça super bizarre de tomber amoureux d’une jeune fille de 14 ans, car c’est une “mini-femme”. Bien sûr, physiquement, je faisais 16 ans mais quand je revois mes photos, j’avais un visage de gamine innocente.
    Pendant cette relation, il m’a toujours bien traitée.On était complices et c’était une relation très romantique: on s’écrivait des poèmes, il m’offrait des fleurs, on restait 2 heures au téléphone chaque jour, on se faisait des sorties: ciné, resto ou journée à Eurodisney. Il m’écrivait des lettres d’amour aussi. C’est même moi qui l’ai larguée.
    Mais d’un autre côté, je l’ai rencontré quand j’avais 13 ans sur un chat internet. On s’est ensuite téléphoné tous les jours; on parlait de plein de sujets et de sexe aussi. Il n’aurait pas dû franchir cette limite, ça n’était pas correct, ni responsable de sa part étant donné son âge. Et, en y repensant, je me sens trahie par lui! J’étais si ingénue, si amoureuse de lui, je ne me rendais pas compte que c’était mal qu’un mec de 19 ans (soi-disant) parle avec une gamine de 13 ans de choses sexuelles. C’est vrai, pourquoi ne pas parler de ça avec des jeunes femmes majeures?
    Cette première histoire d’amour a duré 8 mois. Je me sentais déjà adulte et plus mature et je ne voyais pas le mal, je trouvais ça naturel, j’étais amoureuse, lui aussi et on était un couple.
    Avec le recul, j’ai des sentiments très contradictoires en repensant à cette histoire. D’un côté, je ne regrette pas cette première histoire car c’était un homme romantique, gentil, attentionné. Mais d’un autre côté, je me sens mal à l’aise car il me traitait déjà comme une femme alors que je ne l’étais pas encore. Et c’est dur d’admettre qu’il a profité , dans un sens, de mon ingénuosité. Car c’était son rôle de ne pas commencer une histoire. Il aurait dû mettre des limites.
    Je me demande s’il est toujours attiré par des gamines de 14 ans… Ou s’il a évolué. Honnêtement, j’aimerais lui dire tout ça mais j’ai perdu contact avec lui depuis notre rupture il y a 17 ans.

    1. Bonjour,
      Je compatis, ce n’est pas simple de se rendre compte de ce genre de choses ! Il est clair que c’était sa responsabilité de poser des limites. J’ai l’impression que nous sommes beaucoup à avoir eu ce genre d’histoires un peu limites, qui n’ont pas eu de conséquences désastreuses mais qui nous laissent mal à l’aise quand on y repense. L’ambivalence qu’on peut ressentir ne facilite pas la tâche.

  3. Tellement épuisant ce combat… eux ne voient que leurs plaisirs, leurs “droits” peu importe la terre ravagée de nos cœurs et de nos corps. Et ce regard d’homme (et de femme !) droits dans leurs bottes, tellement certains d’avoir raison, ce regard qui te fait sentir encore plus dégueulasse encore…, alors que même si tu SAIS que tu n’as jamais rien fait de mal, tu te SANS coupable, c’est toi la sous-merde à l’origine de ce qu’ils t’ont obligés à te faire subir.

    1. Épuisant, c’est le mot…! J’espère que vous pourrez trouver du répit et du réconfort dans des espaces de sororité et de soutien mutuel. Je vous envoie des encouragements.

    2. “Tellement épuisant ce combat… eux ne voient que leurs plaisirs, leurs “droits” peu importe la terre ravagée de nos cœurs et de nos corps.”

      En réalité, ils savent très bien que cela ne se fait pas d’abuser de quelqu’un. Quand vous êtes adulte et qu’un type passe chez vous et vous raconte des salades pour vous vendre un produit qui ne fonctionne pas, on appelle cela une arnaque. Des milliers d’adultes se font prendre tous les jours, et on attend de la part d’enfant et d’ado qu’ils réagissent mieux que des adultes ? Ceci n’a aucun sens.
      La vérité c’est que les choses ont été inversées.
      Non, on abuse pas de la confiance de quelqu’un, on n’abuse pas d’un gosse, on abuse pas d’un ado, et c’est comme ça, c’est une question de respect de l’autre et de discernement et je m’en fiche de passer pour quelqu’un qui fait la morale, je préfère cela que de passer pour un pervers qui n’assume pas et veut faire croire que ses goûts sont universels pour ne pas avoir à se remettre en question.
      Je félicite au passage Dcaius : bravo pour ce travail, bravo pour ce blog. Je vois derrière tout cela beaucoup de qualités, dont le courage l’empathie et de très bonnes facultés de discernement.

  4. Cet article a le mérite de me faire me poser des questions à mon sujet.
    Je suis toujours partagée quand je lis des commentaires défendant l’ambiguïté de certaines situations. Il y a toujours un “oui mais” dans ma tête et dans les commentaires.
    En fait la seule question qu’on devrait se poser c’est “est-ce que je suis en train de faire du bien à cette personne?” or je pense qu’on s’accordera sur le fait qu’à partir du moment où une situation est malsaine cette question n’est jamais posée.

    1. Ce n’est pas facile de remettre en cause ce à quoi on a été conditionné·e toute sa vie ! C’est généralement inconfortable.
      Effectivement, il y a bien des situations où cette question est un impensé total, et changer cela me semble déjà un grand pas vers du mieux en termes de consentement et de responsabilité relationnelle. Je pense aussi que songer au bien-être à long terme et pas seulement en terme de gratification immédiate peut être important.
      Merci pour votre commentaire en tous cas, et bonne continuation !

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