De manière générale, les traumas ont tendance à isoler, et développer un stress post-traumatique est favorisé par l’isolement et le manque de soutien communautaire. Dans le cas des traumas religieux et/ou spirituels, je constate des facteurs d’isolement particulièrement marquants.
Tout d’abord, perdre sa foi est quelque chose de dévastateur. Je crois qu’il est difficile de se figurer, quand on ne l’a pas vécu, à quel point cela peut être éprouvant lorsque l’on y a été très investi·e, avec une foi sincère. Dans le cas du christianisme, les doctrines encouragent à “ne pas être tiède”, à se donner tout·e entier·e à Dieu, à centrer toute sa vie sur Jésus, à ne pas se faire confiance mais à tout remettre au divin. Quitter le christianisme après cela représente donc un chamboulement des fondations, de la vision du monde que l’on a entretenue jusqu’ici.
Par ailleurs, perdre sa communauté religieuse peut être extrêmement éprouvant aussi. Les personnes fanatiques ou sous emprise religieuse sont souvent entourées principalement d’autres personnes dévotes. Le fait de quitter sa religion signifie donc un isolement considérable, surtout si la communauté en question a des considérations sectaires à propos des personnes qui n’en sont pas membres. Lorsque l’on sait que le développement d’un stress post-traumatique est catalysé par l’isolement, ce n’est pas anodin. Le changement peut être brutal et rajouter une couche de difficulté au trouble initial de laisser derrière soi une certaine vision du monde.
S’ajoute à cela que les dogmes chrétiens sont souvent soutenus par une peur de l’enfer ou a minima “du monde”, c’est-à-dire d’un environnement qui n’est pas chrétien. Il est établi que les chrétien·nes ont la Vérité avec un grand V, qu’iles sont “le sel de la terre et la lumière du monde”, et qu’il est leur devoir de convertir les autres. Côtoyer des non-chrétien·nes est donc toujours perçu à travers le prisme de la nécessité de leur conversion.
Il faut donner un bon “témoignage”, se montrer un·e bon·ne chrétien·ne, un bon exemple, donner envie aux non-chrétien·nes de le devenir. Il faut cependant se garder de se laisser gagner par les tentations du “monde” : côtoyer les non-chrétien·nes mais ne pas se laisser contaminer, ne pas se laisser s’éloigner de Dieu selon la vision chrétienne. C’est une surveillance de soi constante pour coller à un idéal inaccessible.
Cette mentalité isole profondément sitôt que l’on n’est pas dans la communauté chrétienne, et fausse toutes les relations que l’on peut avoir avec des personnes qui ne sont pas chrétiennes. En effet, en filigrane, il y a toujours la conviction insurmontablement arrogante que la vie de la personne qui n’est pas chrétienne n’est pas suffisamment bien, vertueuse, heureuse, et qu’elle serait meilleure après conversion au christianisme. Cela met des oeillères quant aux expériences que la personne peut partager : tout est déjà classé comme n’étant pas assez bien car ne rentrant pas dans les dogmes chrétiens. La personne non-chrétienne peut faire preuve d’éthique remarquable, se préoccuper du bien-être de ses semblables, avoir sa propre spiritualité, tout cela est balayé par la vision sectaire selon laquelle seul le christianisme est légitime.
Cela peut être plus ou moins évident dans les comportements d’un·e chrétien·ne, et on peut donc se retrouver plus ou moins isolé·e des personnes non-chrétiennes. En effet, il me semble que personne n’a réllement envie de côtoyer au long terme de manière proche quelqu’un·e qui est incapable de nous écouter sur nos vécus sans y plaquer une grille de lecture arbitraire, “par acte de foi”.
Aborder les non-chrétien·nes avec un dogmatisme chrétien génère donc un fossé, et fait passer à côté de tout ce qu’iels pourraient apporter d’intéressant et de bienfaisant. Un des effets pervers de cette mentalité est que cela met d’énormes barrières au fait de tisser des liens authentiques avec des personnes qui ne sont pas chrétiennes, et rend plus difficile le fait d’envisager de quitter une communauté chrétienne, qui est présentée comme le seul endroit sûr, légitime, et bon.
Lorsque l’on ose enfin quitter un milieu chrétien sectaire, on se retrouve en dehors de ce qui était jusque-là familier, à devoir ré-apprendre tout un tas de choses, avec l’impression d’avoir accumulé tout un tas de connaissances maintenant inutiles (des rites, des chants, des codes sociaux spécifiques, des dates, des versets, etc).
Ces expériences sont difficiles à faire comprendre à des personnes qui n’ont pas ce vécu. Beaucoup de personnes qui n’ont jamais été dans un milieu religieux sectaire ne comprennent pas ce que cela représente, à quel point c’est difficile d’identifier les problèmes, de partir, de s’en remettre. Bon nombre de personnes estiment avec arrogance qu’il faut être bête pour se retrouver là-dedans, et que cela ne pourrait jamais leur arriver ; il peut y avoir beaucoup de mépris et de jugement.
Dans certains cas, on quitte donc un milieu sectaire où le jugement règne, pour arriver dans des cercles où on risque d’être jugé·e parce que l’on vient d’un milieu sectaire, et ce même si on fait de son mieux pour se départir de ce à quoi on a été conditionné·e.
La sévérité du trauma que cela représente de perdre sa foi n’est pas claire pour tout le monde. Lorsque l’on a jamais vécu la terreur de la perspective d’être damné·e, cela peut être difficile à prendre au sérieux, mais c’est un réel problème pour les gens qui quittent des communautés fondamentalistes.
Par rapport à la thématique de l’isolement, il faut aussi préciser que pour certaines personnes elle est très littérale : certaines sectes séquestrent leurs membres, dans un cadre punitif ou de manière plus routinière. Les conséquences de l’isolation sur la santé mentale ne sont plus à prouver. Cela contribue à un processus de “cassage” de la personne pour mieux l’endoctriner et la soumettre. On voit un exemple de cela dans le film Les Éblouis.
En conclusion, l’isolement est un problème particulièrement épineux pour des personnes ayant été traumatisées par la religion et/ou la spiritualité. Si c’est votre cas, et que vous êtes à l’aise en anglais, sachez que le site Recovering From Religion propose des ressources et notamment des groupes de paroles réguliers.
Mes encouragements et toute ma compassion aux personnes qui ont été maltraitées dans un contexte religieux et/ou spirituel. Si vous avez des ressources à recommander pour aider des pairs, n’hésitez pas à les partager en commentaires.
Merci ^^
Bonjour,
Merci pour vos partages.
J’aimerai beaucoup converser avec vous au sujet du traumatisme spirituel, je me retrouve dans certaines choses. Mais pas toute du fait que je n’étais pas enfermée dans une religion en particulier mais des croyances spirituelles et un peu religieuses. Ce qui n’est pas tellement différent.
Je n’ai aucune éducation religieuse sinon celle que je me suis construite à travers plusieurs traditions, confessions et philosophies.
J’ai vécu des évènements traumatisants qui relèvent du spirituel, des changements de plans de conscience qui ont été très destabilisants tant je manquais de connaissances pour les comprendre. Mais mon truc positif est de me dire que du coup je ne les ai pas inventé. 😉
J’en pleure encore parfois ( ca a vraiment commencé en 2018 et j’ai “fermé la porte” en 2021 ), j’assimile encore aujourd’hui en lisant des écrits de ça de là, de la tradition hébraïque, chrétienne, yogique, ou encore chamanique, en général parlant de la “science initiatique”.
Perdre la foi à été dévastateur pour moi… mais j’ai fini par la retrouver timidement, mais pas comme avant. Peut-être moins naïve et plus humble aussi. Mais je ne suis pas guérie totalement, le fameux stress post trauma… Je ne trouve pas de personne censée pour m’écouter sérieusement, me croire, me comprendre. Disons aussi que j’ai perdu de la confiance aux autres…
Je me demandais si vous seriez gré d’échanger avec moi, de donner votre point de vue et d’écouter mon expérience autant que me partager la vôtre peut être.
Je ne parle pas bien anglais et donc je n’aurai pas accès à la lecture du site que vous conseillez.
Je n’attends pas spécialement quelque chose de vous, autre que l’échange.
Fraternellement,
K.
Je me reconnais beaucoup. Cela fait 17 ans que je quitte et reviens à la foi mais jamais longtemps. J’ai fréquenté les évangéliques depuis l’âge de 16 ans et aujourd’hui j’en ai 52. J’étais très impliquée pour l’évangélisation. Puis il y a eu des incohérences que j’ai découvertes, un gros ras-le-bol de me donner pour un Dieu qui m’a laissée avec des souffrances énormes et que je considère qu’il aurait pu éviter et faire quelque chose. Pendant ce temps je ne dois pas être tiède et me donner à cent pour cent pour lui, me priver de certaines choses. C’est finalement cette relation à sens unique sans recevoir qui a déclenché beaucoup de colère. Quand j’étais à fond dedans je ne profitais plus du moment présent et j’étais comme dans un monde parallèle, déconnectée de la réalité. Le plus difficile est de se refaire des amis dans une société très individualiste. À mon sens c’est pour cela que je retourne dans ce cocon chrétien mais je ne peux plus y rester longtemps. La peur d’être rejetée de Dieu est un traumatisme. Votre article résume ce que je vis. Êtes-vous un ancien évangélique ? J’ai aussi le livre de Marlene Winell “leaving the fold” elle explique très bien la problématique ayant été dans ce milieu.
Bonjour, merci de votre commentaire ! En effet, j’ai fréquenté des communautés évangéliques par le passé. Je me reconnais dans ce que vous partagez, et je compatis ! Ça peut être si compliqué d’oser aller vers autre chose que le christianisme en venant de ce milieu parce que c’est un des fondements de cette vision du monde que de nier toutes les autres comme mauvaises, démoniaques ou juste erronées. Mais ça a été vraiment salvateur pour moi parce que la soif de spiritualité demeurait même après avoir compris que le christianisme ne pouvait plus me convenir. Tous mes encouragements !
Merci pour votre réponse. Serait-il possible d’échanger par email ? si vous l’acceptez bien entendu.
Merci
Merciii.
22 ans passé dans ce milieu, 21 ans d’un mariage infernal, où l’homme a tout pouvoir au nom de la parole de Dieu, quelle détresse et quel isolement pour pouvoir se reconstruire. Et pour les enfants, grandir dans un tel cloaque, quelle honte! Une culpabilité sans nom, une solitude sans visage, et une foi qui doit renaître de ses cendres, une foi unique, une foi solitaire, une foi qui ne peut plus se dire, un cœur silencieux. Sans plus jamais se laisser mettre en cage, sans plus jamais se laisser définir par un quelconque responsable, pasteur, ministère, mari, chemin que je ne souhaite à personne.