Un reproche récurrent adressé aux personnes autistes est qu’elles joueraient trop sur un côté “mignon”. Je vois cela suffisamment souvent, et ce depuis des années, pour qu’il me semble pertinent d’en traiter dans un article.
[Nota bene : L’article traite spécifiquement des personnes autistes parce que les conversations autour de ce sujet que j’ai vues se centrent sur ce groupe. Je ne doute pas, cependant, que la discussion puisse être élargie à d’autres personnes handicapées.]
La dernière critique de cet ordre que j’ai lue disait grosso modo “J’aimerais que les personnes autistes très visibles en ligne cessent de jouer la carte de la personne autiste uwu cottage core pastel core.” La personne ajoutait que cela semblait renforcer les stéréotypes autour des personnes autistes.
Une femme handie a répondu avec une satire transposant le propos à la misogynie ; “Les femmes, arrêtez de tweeter des trucs hyper féminins car ça renforce les stéréotypes de genre et l’idée que les femmes n’aiment pas bricoler“, soulignant qu’il était absurde de reprocher aux personnes autistes de renforcer des stéréotypes validistes simplement en étant elles-mêmes.
Blâmer des personnes marginalisées pour leur marginalisation en leur reprochant de correspondre à un cliché marginalisant est un classique récurrent, malheureusement. C’est une forme de victim-blaming. Nous ne pouvons pas être tenu·es responsables des idées arriérées d’autrui à notre sujet, et des discriminations qui en découlent.
Les personnes autistes peuvent avoir des manières de s’exprimer qui divergent des normes acceptables, et qui détonnent, les faisant paraître excentriques.
Par exemple, certaines personnes autistes apprécient des contenus qui sont généralement présentés comme destinés aux enfants ; des dessins animés, des peluches, des livres de coloriage, des styles vestimentaires, des jouets, etc.
Il y a généralement un seuil jaugé “acceptable” d’appréciation de cela, en témoigne la popularité des films Disney, Pixar ou Ghibli auprès d’un grand nombre d’adultes. Mais il semblerait qu’il y ait une ligne invisible à ne pas dépasser, à partir de laquelle on devient gênant·e. Personne n’a défini cette ligne invisible, bien sûr, et personne ne semble réellement capable d’avancer une bonne raison de l’ériger.
Quelle est l’urgence d’empêcher des personnes qui ne sont plus des enfants d’être enthousiastes à propos d’oeuvres de fiction ? Quel mal irrémédiable cela cause-t-il à l’humanité, je vous le demande ? Tant qu’une passion ne cause pas de graves problèmes à quelqu’un au quotidien, à quoi bon vouloir limiter ladite passion, de quel droit ?
Par curiosité, j’ai été regarder ce que les définitions de dictionnaire disaient du terme “mignon”. Voici ce que le Larousse en dit : “Qui a du charme, une certaine grâce, qui est joliment arrangé, décoré“, “Doux, gentil, aimable“, “Terme d’affection, surtout en parlant à un enfant, à une femme.“, “Nom donné aux favoris efféminés d’Henri III, notamment aux ducs d’Épernon et de Joyeuse, aux comtes de Quélus et de Saint-Mégrin et à Ph. de Gramont, comte de Guiche.“. Le terme mignon est donc associé à la douceur, l’affection, les enfants, les femmes et les hommes dits efféminés. Dans ce contexte, l’utiliser de manière péjorative me semble assez chargé de cynisme, de misogynie et d’homophobie. J’ajouterais que de nombreuses personnes transmasculines ont exprimé maintes et maintes fois leur exaspération d’être qualifiés de “mignons” à tort et à travers. Je pense qu’on peut aussi parler de transphobie ; je vois extrêmement souvent le reproche de “jouer la carte du mignon” fait à des personnes autistes trans spécifiquement.
Très souvent, la formulation des reproches semblent supposer que les personnes autistes “(sur)jouent”. Leur appréciation de certains contenus, ou leur manière de s’exprimer, ne serait pas authentique, parce que trop “enfantine”, ou jugée trop gênante. J’ai l’impression ici qu’il s’agit d’une pure projection alliste. Ce n’est pas parce que l’on arrive pas à se projeter soi-même dans une situation de manière authentique que c’est impossible pour autrui. Ironique que l’on doive faire un tel rappel à une population qui discrimine encore et encore les personnes autistes pour une soi-disant absence de “théorie de l’esprit“.
Oui, certaines personnes autistes ont des “goûts bizarres”. Ce n’est pas nouveau, et ça ne prendra pas fin demain, il s’agirait de s’y faire. Du moment que lesdits goûts bizarres ne sont pas dangereux, pourquoi ne pas ficher la paix aux personnes autistes ? Pourquoi votre cringe serait plus important que la tranquilité des personnes autistes à être elles-mêmes ?
Outre les goûts, ce sont les maniérismes des personnes autistes qui semblent déranger, bien souvent. Bien sûr, le stimming en fait partie, et certaines formes de stimming jugées comme “infantiles” particulièrement. Un exemple concret serait le fait de battre des mains ou de tapoter ses joues lorsque l’on est content·e.
Si la norme sociale dicte que cela est “infantile” : là encore, au nom de quoi ? Pourquoi ? Et pourquoi chercher à changer les personnes autistes plutôt que changer cette norme arbitraire ? Qui cela heurte-t-il que des personnes autistes manifestent leur enthousiasme en battant des mains ? Il est acceptable pour la majorité de manifester son appréciation en tapant bruyamment dans ses mains, c’est ce que l’on appelle applaudir. Le bruit généré peut être extrêmement désagréable pour beaucoup de personnes handicapées. Pourtant, c’est complètement banalisé dans les rassemblements. Ne peut-on pas laisser les personnes autistes tapoter leurs joues ? Quelle fragilité inconnue propre aux personnes allistes justifierait de les en empêcher ? Il me semble qu’une remise en question est de rigueur.
Une personne autiste a même une fois été accusée de “s’auto-infantiliser”. J’aimerais m’attarder sur le non-sens de cette affirmation. L’infantilisation désigne la déshumanisation dont sont victimes les enfants. Accuser quelqu’un de “s’auto-infantiliser” est du même acabit qu’accuser quelqu’un de “s’auto-objectifier” (reproche misogyne extrêmement courant).
Certaines personnes peuvent faire des choix qui paraissent déconcertants à autrui. Peut-être que vous considéreriez comme déshumanisant pour vous-même de faire les mêmes choix. Cela ne justifie pas de considérer que quelqu’un se déshumanise en les faisant alors qu’il s’agit d’un goût personnel, d’un acte qui n’engage qu’ellui, bref de quelque chose somme toute relativement inoffensif.
Si d’autres personnes tirent des conclusions généralisantes sur un groupe marginalisée, on ne peut pas blâmer une personne qui agissait simplement selon ses préférences et qui n’avait absolument pas demandé à être érigé·e comme modèle et représentant·e. Considérer qu’une personne autiste représente l’ensemble des personnes autiste est considérer que les personnes autistes sont un monolithe et c’est validiste. Je pense qu’on devrait pouvoir s’accorder sur le fait que blâmer les personnes autistes pour la discrimination validiste qu’elles subissent est… validiste.
De nombreuses personnes autistes ont subi du harcèlement et/ou des abus parentaux dans leur enfance à cause de leurs passions, de leurs manières de s’exprimer, de leurs excentricités, de leurs différences. Beaucoup ont tenté d’étouffer leur intérêt pour certains sujets afin de ne pas détonner davantage, pour se faire accepter. Beaucoup ont dû subir d’être réellement déshumanisées du fait de leurs différences.
Pouvoir se réapproprier certaines passions à l’âge adulte, sans avoir aussi peur des conséquences, est extrêmement précieux. Prétendre ôter leur agentivité à des personnes autistes parce que telle ou telle passion, ou tel ou tel stim, “présente mal”, me paraît d’une superficialité aberrante. Certaines personnes autistes ont d’autant plus besoin de pouvoir apprécier librement certaines passions jugées décalées par rapport à leur âge qu’elles ont été privées de certains aspects de leur enfance ou de leur adolescence. Par exemple, certaines personnes autistes et trans n’ont pas pu expérimenter certains loisirs ou certains vêtements associés à leur genre du fait de leur assignation de naissance.
J’observe par ailleurs que ces critiques publiques sont le plus souvent adressées à des personnes autistes oralisantes, qui ne sont pas institutionnalisées, qui ont plus ou moins une plateforme publique (un compte Twitter, une chaîne YouTube, etc). Va-t-on reprocher à Babouillec de se balader avec une bouée ? Je n’ai aucun mal à imaginer que certaines personnes le fassent, malheureusement. Cependant, je n’ai jamais lu une telle critique. J’ai l’impression qu’en filigrane il y a la présomption que certaines personnes autistes ne peuvent pas s’empêcher d’être autiste et de paraître autistes, et que d’autres le pourraient et donc devraient le faire.
L’injonction au masking est une forme de validisme. Certaines personnes sont obligées de masquer leur autisme sur leur lieu de travail, dans leur famille, dans différents contextes afin de pouvoir survivre. Dans des contextes où la survie n’est pas un enjeu, je recommanderais de laisser les personnes autistes exister et exprimer leur personnalité et leur passion sans essayer de les faire rentrer dans des cases validistes pour aucune raison valable !
Pour rappel, le fait de masquer intensivement peut générer de graves problèmes de santé (burnout autistique, douleurs chroniques…), et je ne pense pas qu’il faille attendre de morfler au dernier degré pour s’en abstenir, si notre survie ne dépend pas de notre capacité à masquer.
Par rapport aux enjeux d’infantilisation, je pense aussi qu’il serait intéressant de considérer pourquoi il est jugé si sévèrement de ressembler d’une manière ou d’une autre à un enfant. A-t-on une considération si basse des enfants, que leur ressembler est une insulte insoutenable ? Si l’on fait un amalgame entre infantilisation et déshumanisation, qu’est-ce que cela dit de notre traitement des enfants en tant que société ? Peut-être que si l’on avait moins de mépris pour les enfants et leurs passions, peut-être que si l’on était moins obsédé·es par le fait de les contrôler et de les modeler à nos souhaits et nos aspirations de respectabilité, on pourrait avancer par rapport à certains enjeux validistes aussi.
Les reproches dont je traite dans cet article sont parfois adressés par des personnes allistes, parfois par d’autres personnes autistes. Dans tous les cas, il s’agit de validisme. Qu’il soit internalisé ou non ne change rien à l’affaire. Reprocher aux personnes autistes de “jouer la carte du mignon” alors que cela n’a aucun lien avec un évitement de ses responsabilités éthiques ou autre enjeu important, c’est validiste.
Si vous n’êtes pas capables de côtoyer des personnes autistes sans exiger qu’elles aient l’air le moins autiste possible, peut-être que vous devriez arrêter d’en côtoyer le temps de vous mettre à la page sur votre validisme. Les personnes autistes méritent mieux.
Article très intéressant me montrant à quel point j’ai intégré des façons de penser validistes sur le sujet (après, je ne les exprime pas puisque je suis dans le même bateau). Par rapport au sujet, j’ai compris il y a peu que, dans mon cas, ce n’était pas forcément un attachement à l’enfance mais une incapacité à intégrer le concept d’adulte. Comme si le “passage” ne s’était jamais fait. Je continue de creuser dans cette direction…
Merci pour ton retour !
Oui, je crois que pas mal de confusion et d’incompréhension autour de ces particularités émergent de l’idée que des trucs jugés “enfantins” (ou associés à l’adolescence) sont forcément une régression ou un retard. Si on prend en considération que pas mal de personnes autistes évoluent selon une timeline différente de la norme à plein de niveaux (par exemple le développement de l’oralisation, l’apprentissage des noeuds, la lecture, etc — dans un sens comme dans l’autre, et parfois simultanément sur différents plans, par exemple quelqu’un d’hyperlexique très tôt mais qui apprend à faire ses lacets plus tard que la moyenne), ça permet de remettre des choses en question.
Quelqu’un en commentaire sur insta soulignait que l’attachement à l’enfance pouvait être post-traumatique et donc induit par le harcèlement qu’on subit parce que autiste, c’est vrai aussi, mais je pense que c’est multifactoriel.
Le concept de l’âge adulte est quand même très étrange, et même s’il sert certaines fonctions importantes et utiles, y a aussi beaucoup de pression pour des raisons plus ou moins arbitraires, ou pas forcément favorables à un développement chouette pour l’être humain.
Mes encouragements pour tes explorations du sujet !
Merci encore une fois <3
(est-ce que je commente trop ici ? Je vais initier un fan-club de dcaius si ça continue ^^ )
J'ai écrit cet été un article – sans le publier – sur mon appétence pour les trucs "pour enfants" et le lien avec mes neuroatypies, et les jugements que ça entraîne. Mon article était plus perso, abordais aussi des trucs liés à la dysphorie de genre (je crois qu'Alistair en parle aussi dans une très vieille vidéo), et la difficulté d'être respecté‧e.
J'aime beaucoup ton article plus politique, ciblé, coup de gueule, qui remet les choses en place – encore un qui va voyager sur les réseaux !
(puis tu me donnes envie de me remettre à publier un jour)
Haha non t’inquiètes pas, tu commentes pas trop <3
Oh l'article dont tu parles a l'air intéressant ! J'espère que tu le publieras. Hésite pas à me l'envoyer par email si tu préfères et/ou si tu veux une opinion dessus, du cheerleading, etc.
Merci pour tes mots encourageants 🙂