… je vais mettre les pieds dans le plat avec une recommandation très claire : ne demandez pas à une personne qui a un stress post-traumatique d’où vient son stress post-traumatique. Sérieux, ne faites pas ça.
Cet article explique cette recommandation, et donne des suggestions pour une approche respectueuse et bienveillante des personnes traumatisées.
“Qu’est-ce qui a provoqué ton stress post-traumatique ?”
Pourquoi les gens posent cette question ? On me l’a posée à de nombreuses reprises, dans un contexte professionnel comme ailleurs. Je sais bien que parfois, cela part d’une bonne intention.
Si vous souhaitez savoir quelles précautions prendre avec la personne traumatisée, vous pouvez orienter votre question là-dessus. Pas besoin de demander quels étaient les évènements traumatiques qui ont déstabilisé votre interlocuteur-ice pour mettre en place des aménagements.
Si c’est juste “par curiosité”, ravalez votre curiosité, parce que la sécurité de votre interlocuteur·ice doit passer avant cela, et vous êtes en train de lui demander de revenir sur ce qui sont probablement les moments les plus éprouvants de son existence. Cette discussion pourrait aller dans une direction à laquelle vous n’êtes pas du tout préparé·e·s. Accueillir la confidence de quelqu’un·e sur des évènements traumatisants n’est pas anodin : si vous n’êtes pas prêt·e·s à écouter la réponse, ne posez pas la question. Les thérapeutes spécialisés en psychotraumatologie vous diront qu’il est recommandé de creuser le sujet des traumas avec précaution et pas à n’importe quel moment. Vous savez comment gérer si la personne fait une crise de panique ou déréalise parce que vous l’avez poussée à parler de ses traumas ?
Cependant, il est possible que la personne ait envie ou besoin de parler du stress post-traumatique ou des évènements traumatiques qui l’ont causé. Si vous souhaitez l’y inviter, vous pouvez le faire autrement qu’en posant une question aussi directe que “Qu’est-ce qui a causé ton stress post-traumatique ?”.
Si le but de la conversation est de lui permettre de s’ouvrir sur le sujet (tout en respectant vos limites respectives et le fait que vous n’êtes pas thérapeute spécialisé en psychotraumatologie), vous pouvez lui dire tout simplement “Si tu as envie ou besoin un jour ou l’autre de parler de ce qui t’es arrivé, je suis là.”
Il peut être particulièrement intéressant de préciser “Si c’est trop difficile pour moi et que j’ai besoin de faire une pause dans la conversation, ou que tu me donnes moins de détails, je te le dirai”. Cette précision est importante en premier lieu pour vous ; gardez-vous d’oublier complètement vos propres besoins parce que vous souhaitez venir en aide à quelqu’un·e, que vous soyez un·e soignant·e ou non, il est important de prêter attention à votre propre santé mentale et vos propres limites. Cette précision est importante aussi pour votre interlocuteur·ice : nombre de survivant·e·s auront peur de ne pas savoir ce qu’il est approprié de dire ou non, peur que leurs confidences soient trop difficiles à entendre et que le fait de s’être confié-e contribue finalement à leur isolement. Ce n’est pas une peur infondée ! Le fait d’avoir connu des abus émotionnels répétés, par exemple, peut donner des repères très dysfonctionnels quant à ce qu’il est approprié de faire ou dire en terme de gestion de ses propres émotions et de celles d’autrui. Le fait de verbaliser à l’avance que vous prendrez la responsabilité de poser vos limites peut donc permettre de rassurer votre interlocuteur·ice ET de plus facilement poser vos limites si le besoin s’en fait ressentir.
Il est possible que votre proche vous parle un jour de ce qui lui est arrivé. Peut-être que ça prendra des années. Peut-être que vous n’aurez jamais toutes les informations sur ce qu’il s’est passé précisément. En fait, dans la mesure où vous savez comment ne pas aggraver les symptômes chez votre proche, je ne vois pas le problème. Dans une relation très proche au long terme, parler des triggers (éléments déclencheurs de symptômes) est quasiment inévitable, et franchement souhaitable, parce qu’évidemment on a envie d’éviter de re-traumatiser autrui. Mais entendre le récit détaillé d’un évènement traumatique qu’a subi quelqu’un·e, croyez-moi, ce n’est pas indispensable pour avoir une relation (qu’elle soit amicale, amoureuse, professionnelle ou autre) avec cette personne.
Si vous ne savez pas quoi dire, il vaut mieux l’admettre plutôt que de tenir des propos bateaux qui risquent de faire plus de mal que de bien (“tout arrive pour une raison, il n’y a pas de hasard”, “ce qui ne te tue pas te rend plus fort·e”, “c’est la vie, c’est pas si grave, faut relativiser” etc). Ces propos qui tentent de donner un sens à des horreurs innommables avec une explication à la va-vite, non merci. C’est d’une violence incroyable. Il est compréhensible de vouloir encourager quelqu’un·e qui souffre, mais brusquer la personne en niant son vécu ne l’encouragera certainement pas.
Un·e survivant·e qui se confie le fait peut-être dans le but d’obtenir des informations sur les procédures à suivre pour avoir accès à des aides (juridiques, médicales, etc), mais il est aussi possible qu’iel attende “juste” de vous de l’écoute et de la compassion : c’est déjà beaucoup. Il est fort possible aussi qu’on ait besoin d’aide pour quelque chose qui ne vous serait pas venu à l’esprit spontanément. Venir en aide à un·e survivant·e ne nécessite pas forcément d’avoir des discussions en profondeur sur le trauma ; peut-être que votre proche aura besoin d’être accompagné·e dans la rue durant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois pour certains trajets (courses, rendez-vous médicaux) à cause de la phobie sociale, par exemple.
Je trouve qu’il faudrait banaliser le fait de verbaliser “Je ne sais pas quoi dire, c’est terrible, je compatis” tout simplement, et “Que puis-je faire pour t’aider ?“.
J’avais déjà abordé le sujet de la socialisation des personnes traumatisées dans un article précédent, ici.
Pour résumer
- On ne demande pas à une personne traumatisée d’expliquer son vécu traumatique par le menu.
- Il est recommandé de demander plutôt quels aménagements peuvent être faits pour éviter de déclencher des symptômes chez la personne. Cela peut être fait par exemple comme cela : “Est-ce qu’il y a un sujet qu’il vaut mieux que j’évite parce que ça peut être réactivant pour toi ?”, “As-tu besoin d’avertissements de contenu sur certains sujets ?”.
- Si vous encouragez une conversation sur les évènements traumatiques et/ou les symptômes de stress post-traumatique avec un·e survivant·e, soyez clair·e·s sur vos intentions et sur vos propres limites.
- Peut-être que vous ne saurez jamais au courant de tous les détails des vécus traumatiques de la personne et c’est à vous de l’accepter, il n’y a pas forcément besoin d’avoir un récit détaillé pour venir en aide ou relationner de manière saine.
- Ne tentez pas à tout prix de chercher “la solution” aux problèmes complexes de votre interlocuteur·ice quand ce qui est attendu est surtout de l’écoute et de la compassion ou encore de l’aide logistique.
Pour aller plus loin
- SEA Pair-Aidance a écrit un excellent article sur le sujet des avertissements de contenu ou trigger warnings.
- L’association Mémoire Traumatique et Victimologie a produit plusieurs brochures d’information sur les violences.
- Cette vidéo réalisée par des étudiants en ergothérapie explique le stress post-traumatique de manière ludique. C’est parfois un petit peu réducteur, notamment sur les symptômes somatiques ou sur les traitements possibles, et un certain nombre de choses ne s’appliquent pas au stress post-traumatique complexe, mais c’est une base intéressante malgré tout ; ça dure 12 minutes environ.
Si vous avez des ressources francophones sur le stress post-traumatique à partager, particulièrement des recommandations faites par des personnes concernées, n’hésitez pas à les laisser en commentaire.
En anglais, il y a un éventail de ressources plus larges. J’avais fait un article sur certains livres ici.
Bonjour
J’ai été agressée verbalement dans l’exercice de mes fonctions et je suis en incapacité de reprendre mon travail après 4 mois d’arrêt.
Que me conseillez vous comme lecture ?
Bonjour,
Si vous avez développé un stress post-traumatique à la suite de cette agression verbale, je vous recommande de parcourir le tag “stress post-traumatique”, il y a différents articles dont certains avec des recommandations de lectures. Si cela a affecté votre rapport aux autres particulièrement, peut-être que des ressources sur l’anxiété sociale et l’hypervigilance relationnelle pourraient être intéressantes.
Je n’ai pas de recommandation plus précise à apporter je crois ?
(J’imagine que vous avez pu rechercher un suivi avec un’e thérapeute à la suite de cette agression ? Si ce n’est pas le cas je ne peux que le recommander ; les lectures vous aideront certainement, mais un espace de parole où vous êtes en confiance, avec quelqu’un dont c’est la spécialité, c’est important aussi.)
Je vous envoie des encouragements, bonne continuation !
Bonjour et merci pour ce travail formidable, c’est important d’avoir ces ressources à disposition.
Ma question est la suivante: au vu des symptômes du PTSD, et surtout du C-PTSD, est-il possible d’arriver à un faux positif sur un diagnostic d’autisme? J’ai bien conscience que les deux peuvent être simplement coexistants , ce qui est très probable, vu que mon fils de 4 ans a obtenu son diag d’autisme récemment et que ça ne devrait pas tarder pour ma fille de 6 ans, et d’autre part le PTSD ne recouvre pas le côté intérêts restreints; mais on n’est jamais trop prudent…
Encore merci pour ce blog qui est une sacrée mine de précieuses informations!
Bonjour !
Dans mon expérience il s’agit plus souvent de conditions co-existantes que de faux positifs (une majorité de personnes autistes que je connais ont un stress post-traumatique). Je dirais que l’important est de permettre aux enfants d’avoir accès aux aménagements dont iels pourraient avoir besoin, qu’il s’agisse d’autisme ou de SPT. Le diagnostic d’autisme a longtemps été plus ou moins controversé justement du fait de traits ressemblant à un stress post-traumatique (cf Bettelheim). À mon sens, au final l’essentiel est que les personnes aient un accompagnement adéquat, et ne soient pas victimes de préjudice à cause d’un diagnostic. Malheureusement beaucoup de personnes encore aujourd’hui ont en tête qu’une personne autiste ne peut pas apprendre / changer, ou à l’inverse essayent à tout prix de forcer des personnes autistes à changer quelque chose qui leur fait du bien (par exemple, stimmer de manière inoffensive). Un des enjeux peut donc être de fournir des espaces d’apprentissage sans mettre une pression énorme, car même en cas de “juste” CPTSD/PTSD, les personnes ont besoin de temps, de patience, de persévérance pour que le cerveau (re)gagne en flexibilité, et les routines peuvent être un point de repère important et bienfaisant dans le processus de rétablissement. Dans les deux cas, il ne faut pas s’attendre à ce que la personne devienne “normale” (= neurotypique). Mais on peut viser un plus grand épanouissement en aidant la personne à accepter ses particularités et en faisant en sorte qu’elle soit acceptée le mieux possible par son entourage.
Je me réjouis que les articles puissent aider, et j’espère que vous trouverez des éléments de réponse à vos questionnements ici ou ailleurs.
Très bonne continuation et merci pour votre retour !
Bonjour,
Merci pour vos partages forts intéressants au sujet du stress post-traumatique .
Avez-vous une newsletter à disposition afin de recevoir vos articles directement dans notre boite email ?
Bien à vous,
Sand
Bonjour,
Merci pour votre retour !
Je n’ai pas de newsletter actuellement. Je pense qu’il est possible de s’inscrire au flux RSS du blog via WordPress ou autre. Mais c’est vrai qu’une newsletter pourrait être une bonne idée, je vais y réfléchir, merci de cette suggestion !
Bien à vous,
dcaius