Cela fait quelque temps que je réfléchis à rédiger une série de conseils pour les personnes qui viennent tout juste d’arriver sur Twitter, qui n’en connaissent pas les codes et les travers et qui risqueraient d’être vulnérabilisées par une utilisation de cette plateforme sans quelques mises en garde préalable.
Il se trouve que quelqu’un m’a écrit pour me communiquer un guide de la sécurité sur Internet pour les femmes. Cela arrive donc à point nommé alors que je réfléchissais à aborder le sujet !
Le guide n’aborde pas seulement la sécurité sur Twitter, mais également sur d’autres plateformes. Il donne des conseils pour limiter certains dangers. Il a été rédigé explicitement pour les femmes, cependant il me semble qu’un certain nombre des conseils sont transposables à d’autres catégories de personnes marginalisées. Je vous en recommande vivement la lecture !
J’y ajoute, ci-dessous, les quelques conseils que je songeais à rassembler au sujet de Twitter. Il est possible que ces recommandations s’appliquent à d’autres plateformes, bien sûr. Et il est probable que pour des personnes connaissant déjà bien Twitter, ce soit enfoncer des portes ouvertes. Mais voici quelques recommandations que j’aurais aimé lire lorsque j’ai découvert Twitter.
Avertissement de contenu : brèves mentions de suicide, validisme, racisme, sexisme.
- Définir ses objectifs. Pourquoi êtes-vous sur Twitter ? Quelle est la fonction de votre compte, pour vous et pour autrui ? Votre approche de vos données et vos interactions avec autrui sur Twitter seront bien différentes selon s’il s’agit d’un compte personnel où partager des tranches de vie avec quelques amies proches, ou un compte public pour relayer du contenu militant, ou encore un compte public professionnel pour présenter votre travail d’artiste. Mais certaines précautions s’appliqueront à tous ces objectifs si vous faites partie d’une catégorie de personnes marginalisées…
- Bloquer les personnes malveillantes, et ne pas débattre de son humanité. Si vous êtes sur Twitter pour débattre avec des personnes aux discours et aux actes haineux, permettez-moi de vous suggérer de reconsidérer vos choix. Vous allez vite vous épuiser à brasser de l’air. Certaines personnes sont ouvertes à la remise en question et ont envie de s’informer et de communiquer respectueusement. D’autres, non, et leur donner de votre temps précieux sur Twitter n’y changera rien. Prenez votre énergie et votre sécurité émotionnelle au sérieux, et bloquez sereinement ces personnes afin qu’elles ne puissent plus lire vos tweets ni interagir avec vous.
- Ne pas débattre de son humanité, bis : appliquer la règle des 300 secondes de Marie Dasylva. Coach stratégiste pour personnes subissant le racisme, Marie Dasylva, @napilicaio sur Twitter, recommande de ne pas accorder plus de 300 secondes à répondre à une injonction de pédagogie de la part d’une personne dominante (ex: une personne blanche demandant à une personne noire de débattre sur la question du blackface, un homme demandant à une femme de justifier les termes “culture du viol”, etc). Le but est de limiter de manière drastique le coût émotionnel lié à l’injonction de pédagogie. Elle explique cette notion plus en détail dans ce fil que je vous recommande de lire ! Vous pouvez soutenir le travail de Marie ici
- Vérifier qui sont les nouvelles personnes à vous suivre. Par défaut, vous serez notifié·e lorsqu’une nouvelle personne suit votre compte (pour un compte privé, ce sera une demande que vous pouvez accepter ou non). Prenez le temps d’aller consulter son profil et de vous assurer que vous n’avez pas de problème à ce que cette personne vous lise. Si ce n’est pas le cas, vous avez l’option de bloquer ou de softbloquer (= bloquer puis débloquer, ce qui a pour effet que la personne ne vous suivra plus).
- Réfléchissez à votre modus operandi, surtout si vous avez une grande visibilité (beaucoup de followers), et surtout si vous interagissez avec une personne potentiellement très vulnérable. On n’opère pas de la même manière avec une entreprise qui promeut des propos dangereux qu’avec une personne isolée qui a eu un propos maladroit. Cela paraît évident, mais il est courant que cela soit oublié. Il est tout à fait légitime (cf 2.) que vous ne vouliez pas prendre le temps de discuter avec une personne qui a dit quelque chose qui vous pose problème. Mais citer cette personne et ainsi visibiliser son propos, avec le risque qu’elle se retrouve accablée de mentions agressives, n’est peut-être pas indispensable dans certains cas où la personne serait ouverte à la remise en question. Qu’est-ce qui en découlera d’intéressant et de constructif ? Voilà la question à se poser. Bien entendu, le contexte influe grandement, il ne s’agit pas seulement d’un distinguo individu/structure. Je n’aurais aucun scrupule à “afficher” un médecin généraliste qui encourage un·e ami·e psychotique à se suicider, par exemple (oui, c’est une vraie anecdote). En revanche, si une personne que je sais être vulnérable tweete impulsivement quelque chose en oubliant de mettre un avertissement de contenu ou en faisant une erreur dans une date par exemple, ce serait paresseux voire cruel de ma part de la citer pour faire une remarque désobligeante. Bref, il s’agit de faire usage de discernement, et dans la mesure du possible, accorder le bénéfice du doute à d’autres personnes marginalisées.
- Dans la même veine : n’hésitez pas à passer en messages privés si cela permet à la discussion d’être plus apaisée et constructive. Lorsque l’on argumente avec quelqu’un, le fait que la discussion soit publique peut exacerber certaines craintes : il est courant que quelqu’un soit particulièrement sur la défensive et se braque plus facilement. De nombreuses personnes ont des difficultés à admettre leurs torts publiquement, à rétropédaler… mais c’est souvent possible en messages privés. Il m’est souvent arrivé de désamorcer des conflits de cette manière, et d’arriver à un échange constructif.
- Méfiez-vous de l’effet “course aux followers”. Avoir un grand nombre de followers n’est pas une fin en soi. Cela peut être très éprouvant, la visibilité a un coût. Savoir que chaque tweet sera potentiellement lu par plusieurs milliers de personnes très rapidement peut être grisant, mais cela peut aussi amener son lot de harcèlement et de déshumanisation.
- Réfléchissez tout particulièrement à vos limites. En cela, définir vos objectifs (1.) est essentiel. Comme le préconise le guide, il peut être utile de créer plusieurs comptes avec des “lignes éditoriales” différentes. Êtes-vous ok à l’idée que plusieurs milliers d’inconnues connaissent votre prénom, votre visage et la ville où vous habitez ? Est-ce que quelque chose de publié en public pourrait être utilisé contre vous ? Ce sont des questions inconfortables, mais il vaut mieux se les poser et prendre trop au sérieux sa sécurité, que pas assez. Outre ces questions de sécurité basiques, vous pouvez réfléchir à des limites qui concernent un risque d’épuisement. C’est particulièrement pertinent si vous produisez ou relayez du contenu militant qui a une charge émotionnelle considérable pour vous. Sur le sujet des limites que l’on se pose à soi-même en ligne, Matthieu de Vivre Avec a publié deux vidéos qui peuvent être d’une grande aide : une sur son rapport au militantisme, et une qui donne des recommandations pour travailler depuis chez soi sans s’épuiser. Si vous avez un compte public et que vous vous laissez facilement entraîner dans des conflits stériles (ou que vous y résistez mais que le simple fait de lire les bêtises d’inconnu·e·s dans vos mentions vous contrarie énormément), sachez que vous avez l’option de masquer les mentions de personnes qui ne vous suivent pas : cela fait un bon tri.
- Si nécessaire, masquez des comptes, des mots-clés et hashtags, temporairement ou définitivement. Twitter offre la possibilité de masquer, sur votre feed, les tweets d’une personne (masquer un compte) et/ou les tweets contenant des mots-clés de votre choix. Vous pouvez donc masquer tout tweet en rapport avec un évènement d’actualité qui vous agace bien sûr, mais aussi un hashtag sur un sujet réactivant des symptômes de stress post-traumatique.
- Temporiser. Lorsque l’on est sous pression et énervé·e, il est possible que l’on fasse des choix impulsifs et que les discussions dégénèrent plus facilement en conflit stérile. Si vous avez un désaccord avec quelqu’un que vous estimez, ce conseil est particulièrement important. Il est dommage de se brouiller avec quelqu’un alors qu’une résolution de conflit aurait été possible si l’on s’était laissé un peu de temps pour décolérer. Face à quelqu’un de malveillant, bloquez sans tarder, mais face à une amie qui a eu des propos maladroits qui vous ont blessée, cela vaut peut-être le coup d’en discuter calmement. Mon propos n’est bien évidemment pas de vous encourager à réprimer toute colère ou tristesse, mais de s’assurer que ces émotions ne vous submergent pas au point de ne pas pouvoir échanger de manière constructive.
Ces dix conseils ne sont que des suggestions basées sur mon expérience et mes observations personnelles. Si vous avez d’autres astuces et remarques sur la question de la sécurité sur Internet, n’hésitez pas à commenter, ici ou sur Twitter ! Mes encouragements à prendre soin de vous, sur Internet comme ailleurs.
[Edité en 02/2020 : Un lecteur m’a très gentiment envoyé le lien vers un guide de sécurité en ligne destiné aux personnes autistes ! Merci Matthew !]