L’isolement subi à cause de milieux de socialisation discriminants
J’entends parfois des discours assez péjoratifs envers l’agoraphobie, la phobie sociale, ou tout simplement la méfiance envers des environnements excluants. C’est plutôt navrant de s’entendre dire que certaines personnes “choisissent de se mettre à l’écart”, quand leur repli est une réaction à des rejets.
Je prends un exemple concret : que faire d’autre que prendre des distances de sa communauté religieuse quand on y est discriminé-e parce qu’on n’est pas hétérosexuel·le? Il ne faut pas sous-estimer le poids d’une telle discrimination, même lorsqu’on n’est pas “out” dans la communauté en question. Entendre des discours du type “nous ne sommes pas contre les homosexuels, mais contre l’homosexualité” dans la communauté dans laquelle on a grandi, c’est d’une violence incroyable. Cela me paraît évident, mais j’ai malgré tout rencontré des gens qui estiment que cette mise à l’écart est au moins en partie à la charge des personnes discriminées, qui ne chercheraient pas à “s’intégrer”. Mais comment s’intégrer dans un milieu où on est nié dans son humanité ? Présumer que quelqu’un d’isolé n’a pas cherché à rejoindre une communauté avant son isolement social relève d’une ignorance ou d’une mauvaise foi incroyable !
La phobie sociale n’est pas un choix. Quand on en vient à avoir peur de ses semblables au point où on ose à peine sortir de chez soi, ce n’est pas parce qu’on est “trop sensible” ou qu’on n’a pas assez essayé, n’en déplaise à certain·es privilégié·es qui refusent de reconnaître les nombreuses discriminations bien ancrées dans notre société.
Certains facteurs de mise à l’écart peuvent être considérés comme un choix, d’autres non. Encourager les personnes traumatisées à absorber encore et encore la responsabilité des abus qu’iels ont subi est très dangereux ! Comment ne pas finir par s’isoler lorsque l’on a vécu traumatisme sur traumatisme infligés par des entourages malveillants ?
Le repli protecteur comme méthode de survie
S’isoler de certains cercles de socialisation peut être un repli protecteur, une méthode de survie en urgence, avec des conséquences bénéfiques. Je ne parle pas là pas d’un isolement total (qui serait rapidement nocif), mais sélectif ; personne n’est une île. Cependant, la réponse à l’isolement n’est pas la socialisation dans l’absolu mais une socialisation épanouissante, et il n’y a pas de modèle tout prêt qui conviendrait à chacun-e. Certaines personnes apprécient de papoter avec des inconnus ; pour d’autres, c’est un moment pénible, et cela n’est nullement un indicateur de mauvaise volonté, seulement d’une personnalité différente.
Une approche respectueuse des personnes traumatisées
N’allez pas conseiller à une personne agoraphobe qu’il suffit de “se jeter dans le bain”, selon une connaissance douteuse du principe de la thérapie d’exposition. La thérapie par l’exposition se fait de manière précautionneuse et cadrée ! Si vous n’êtes pas un·e thérapeute formé à cette modalité thérapeutique (qui, par ailleurs, ne convient pas systématiquement à chaque patient·e), ne prétendez pas soigner quelqu’un en l’exposant à des éléments qui lui rappellent un traumatisme. Vous avez plus de chances de fragiliser davantage l’individu, et de le pousser à l’isolement.
Si vous souhaitez aider la personne traumatisée, banalisez le fait de communiquer sur ce qui lui est difficile ou non pour mieux respecter ses limites. Il peut être pertinent d’utiliser systématiquement des avertissements de contenu pour certains sujets, et de demander à la personne si elle en a besoin pour un sujet en particulier. Je ne parle pas là d’instaurer un tabou, de “surprotéger” : il s’agit de protection basique et parfois très temporaire. On ne peut pas discuter de tout avec tout le monde en tout temps, et ce n’est pas un drame. Respecter les fragilités de chacun·e est important. On ne forcerait pas quelqu’un qui vient de perdre un-e proche à rentrer dans les détails de son deuil ; alors pourquoi forcer quelqu’un·e à débattre d’un sujet qui peut provoquer flash-backs ou crises de panique ? Il s’agit là de tact et de bienveillance élémentaire. Le fait qu’une personne nécessite de beaucoup de précautions à un moment M ne signifie pas que le sujet ne sera jamais abordé à nouveau. Prendre soin de quelqu’un·e, ce n’est pas synonyme de lui imposer de rentrer dans une norme sociale qui lui fait mal.
Une personne traumatisée n’a pas les mêmes réserves émotionnelles, la même gestion du stress que les autres. Ce qui représente une légère tension pour quelqu’un·e, peut représenter plusieurs semaines de symptômes aggravés de manière très handicapante pour quelqu’un qui souffre de stress post-traumatique (insomnies, crises de panique, anxiété, pensées intrusives, douleurs chroniques, etc). Ne faites pas preuve de cruauté en poussant les personnes traumatisées dans leurs retranchements.
La réserve raisonnable
J’aimerais qu’il soit compris et accepté qu’une personne traumatisée a besoin de temps pour faire confiance. Quand on a dû faire face à des abus de manière répétée, la méfiance n’est pas un défaut ou une bizarrerie : c’est du bon sens, une application de statistiques. Quand on est dans une situation vulnérable à nouveau, il n’est pas pessimiste ou cynique de ne pas faire confiance aussitôt à quelqu’un·e qu’on ne connaît pas. Par ailleurs, se méfier n’est pas synonyme d’hostilité ! On peut être cordial tout en réservant son jugement sur la bonne foi de quelqu’un·e. Ne vous formalisez pas que quelqu’un·e présente cette réserve. Quelqu’un·e qui s’efforce d’être respectueux·se avec constance ne s’inquiète pas d’une méfiance initiale : le temps fera son affaire pour convaincre autrui de sa sincérité. Le fait de s’attendre au pire au premier abord ne signifie pas que l’on va ignorer le positif lorsqu’il a lieu.
Le réalisme pour éviter le déni
Personnellement, étant donné mon vécu, j’estime qu’il serait hautement inquiétant que je fasse encore confiance facilement à quelqu’un. Cela dénoterait un manque de recul, un déni de ce qui a pu m’arriver auparavant, une volonté de se bercer de l’illusion que les humains sont, par défaut, bienveillants, et ce malgré toutes les preuves contraires. Ce n’est pas la réalité dans laquelle je vis : les humains qui m’entourent ne sont pas tous bienveillants. Certains le sont, je chéris leur présence dans ma vie et je recherche leur compagnie régulièrement ; dans un cas d’isolement sélectif stratégique, il me semble essentiel de régulièrement interagir avec des personnes de confiance, sous peine de perdre complètement espoir en ses semblables.
Il est parfois délicat de trouver l’équilibre entre s’attendre au pire pour mieux y faire face, et discerner la bonté que démontre autrui. Qui n’a jamais rencontré quelqu’un qui s’appesantit sur les éléments négatifs de sa vie en ignorant totalement les éléments positifs ? Cela peut être très destructeur, surtout lorsque cette personne a vécu des abus émotionnels qui ont miné sa confiance en soi et que cette négativité s’applique envers soi en premier lieu : se sentir nul et ne pas prendre la juste mesure de ses accomplissements.
Cependant, être patient·e envers soi-même et avec les autres, ce n’est pas s’enfoncer dans le déni des évènements négatifs. Je fais le choix d’être réaliste et de prendre en compte ce que je sais de la nature humaine et de la société, de son potentiel pour le désastreux et le formidable. Je me prépare à affronter le désastreux, et je me réjouis du formidable lorsqu’il se présente.
Je ne m’excuse plus de poser des constats négatifs, de parler de choses terribles dont je suis témoin et/ou victime. Le pragmatisme ne m’empêche pas d’apprécier les choses réjouissantes, et je trouve dommage que l’on doive systématiquement “contrebalancer” une critique constructive. Je refuse de montrer patte blanche en disant que “tout de même, les choses avancent” en conclusion de chaque conversation sur un sujet objectivement déprimant. Bien sûr, certains faits sont accablants. La solution n’est pas d’en minimiser la gravité, sous peine d’être inefficace pour faire évoluer la situation. Après tout, soyons logiques : si j’étais persuadée que les choses ne pouvaient pas évoluer, pourquoi me fatiguerais-je à émettre une critique constructive ? Parler d’une injustice, c’est déjà faire preuve d’espoir : celui d’être écouté·e.
Relire ton article 3 ans (déjà !) plus tard et le ressentir comme une pommade bienfaisante à nouveau. Un peu de force dont j’ai besoin dans les moments difficiles et que ne peuvent pas me transmettre les personnes qui veulent forcer auprès de moi une vision sur-positive de toute chose. Ton blog est tellement utile, merci.
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