Contrer le fascisme avec un geste simple

Saviez-vous que les études sur la pandémie de grippe de 1918 montrent une corrélation avec la montée du fascisme au cours des décennies suivantes ?

Emphase mienne :

La pandémie de grippe de 1918 a tué environ 50 millions de personnes, soit plus que le nombre de morts pendant la Première Guerre mondiale. Cette pandémie incontrôlée a alimenté l’importance croissante de la pseudoscience de l’eugénisme, l’idée selon laquelle les humains peuvent améliorer leur patrimoine génétique en facilitant la reproduction des “désirables” et en empêchant la reproduction des “indésirables”. La logique inhérente à l’eugénisme est que certaines personnes valent moins que d’autres et méritent donc d’être sacrifiées. La pandémie de grippe de 1918 a facilité l’acceptation généralisée de ce calcul. La législation eugéniste s’est multipliée dans les années qui ont suivi, notamment les lois sur la stérilisation forcée dans plusieurs États américains. Le raisonnement eugéniste a alimenté les mouvements fascistes des années 1930 et 1940. L’idéologie d’extrême droite consistant à faire des indésirables des boucs émissaires et, à terme, à chercher à les exterminer était une extension de l’acceptation d’une hiérarchie de l’humanité. En effet, une étude a montré qu’en Italie, chaque décès pour mille dû à la grippe de 1918 dans une région donnée correspondait à une augmentation de 4 % de la part des voix du parti fasciste en 1924. Une autre étude a noté une association similaire dans les schémas de vote allemands en 1932 et 1933.

Shira Lurie pour Rabble, “History shows that pandemics lead to fascism”, 18 novembre 2024 (source)

Une pandémie est un évènement traumatisant de masse. Outre les séquelles physiques de type long COVID-19 dans le cas de la pandémie actuelle, les conséquences à long terme de traumas sont multiples, particulièrement lorsqu’il n’y a pas eu d’accompagnement efficace. La littérature sur le stress post-traumatique souligne l’importance du soutien que reçoivent les survivant·es, particulièrement dans une dynamique communautaire positive. Autrement dit, plus on est isolé·e pendant et après un évènement traumatique, plus on est à risque de développer des symptômes de stress post-traumatique.

Vous voyez sans doute où je veux en venir. Bien sûr, l’isolement stratégique fait dans une certaine mesure partie des éléments requis pour combattre la pandémie : confinement, distanciation sociale. On ne peut pas y couper, en quelque sorte. Cependant, il y a toujours moyen de contourner certains obstacles pour quand même se soutenir et ne pas sombrer dans un hyper-individualisme mortifère ; et c’est là qu’à l’échelle collective, nous échouons assez gravement.

En effet, le capital a été priorisé, les personnes les plus vulnérables sont jetées sous le bus. Nous n’avons toujours pas de remède avéré contre la pandémie toujours en cours, seulement des vaccins ; nous ne savons pas exactement quelles seront les séquelles de long terme pour de multiples infections mais les informations dont nous disposons ne permettent pas l’optimisme… Et pourtant, on se comporte comme si la pandémie n’était plus un problème. C’est un évènement handicapant de masse, et c’est aussi une pandémie qui a accru les inégalités de manière criante. Les ultra-riches se sont enrichis, transformant une plaie internationale en une opportunité d’exploiter davantage. Plus décevant, la population a dans l’ensemble accepté de souscrire à une idéologie eugéniste : “Après tout, ça affecte les plus à risque qui n’ont qu’à rester chez eux, pour moi c’est bon, je peux sortir sans précautions”. Autrement dit, tant pis pour les faibles, mais moi j’ai autre chose à faire que me préoccuper de la santé publique. On est pas bien là ?

En effet, à l’heure actuelle, la vie a repris son cours “normal” pour la plupart des gens. Je ne vois que très rarement des gens portant des masques dans les transports ou à tout autre endroit. Même dans des milieux qui se considèrent militants et qui affichent une préoccupation pour faire des “safer spaces“, personne ou presque ne porte de masque. Pourtant, on sait que la moitié des contaminations se font via des personnes asymptomatiques, donc attendre de se constater malade pour masquer est absurde.

C’est inquiétant au-delà du simple fait que c’est eugéniste et dangereux. Cette acceptation, cette banalisation généralisée d’une posture eugéniste, révèle que les gens sont prêts à prioriser leur confort et nier l’évidence, accepter des contre-vérités et souscrire à des idéologies fascistes si cela permet de ne pas trop se poser de questions dérangeantes.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour remettre un masque si vous avez arrêté. Il n’est pas inutile de mettre un masque, et masquer un peu est mieux que pas du tout. Même si vous ne masquez que dans les transports, à la pharmacie et en faisant les courses c’est déjà un progrès. Les personnes à risques aussi ont besoin de se déplacer, d’acheter des médicaments et à manger !

Si vous êtes inquiet·e de la montée du fascisme et que vous ne savez pas quoi faire de concret, vous pouvez faire quelque chose de relativement simple : acheter des masques et reprendre l’habitude de porter un masque au quotidien autant que possible. Vous pouvez peut-être trouver un mask bloc local pour faire un achat en groupe et trouver des conseils fiables, si besoin. Ce site propose régulièrement des promotions.

Porter un masque c’est mitiger les risques pour tout le monde et notamment les plus vulnérables : un acte solidaire concret. Ce n’est pas symbolique, ce n’est pas théorique, c’est réel et ça a de multiples impacts positifs. Vous protégez votre santé, celle des autres. Vous aurez aussi probablement des conversations autour de ça et l’opportunité de déclarer explicitement votre solidarité pour les personnes les plus à risques : il arrive semi-régulièrement qu’on me demande pourquoi je porte un masque. Vous pratiquez la résistance à une dynamique d’apathie et de cruauté de masse. En portant un masque vous pratiquez des compétences qui sont utiles plus généralement pour lutter contre le fascisme.

“Le masque sauve des vies” image via Mask Bloc Bdx

Pour rappel, les masques chirurgicaux légers de type IIR ne protègent pas face au COVID-19 ; c’est mieux que rien, mais ce n’est pas une protection suffisante. Les FFP2 et FFP3 sont à privilégier.

J’ajouterais que choisir des couleurs qui vous plaisent, ça peut faire une différence non-négligeable au quotidien. Ça reste souvent laborieux et désagréable de porter un masque, surtout lors de longs trajets, et porter une couleur qui vous met de bonne humeur c’est un gros plus !

Quelques liens potentiellement utiles :

Le modèle de l’emmental appliqué à la prévention, par le virologue Ian M McKay, traduit et mis à jour par Marie-Aude Visine

Le “Haut Potentiel Intellectuel”

Que dire de l’étiquette “Haut Potentiel Intellectuel”, et ses variantes “surdouée”,”(très) haut QI”, “précoce”, ou encore “zèbre” ?

J’avais beaucoup apprécié l’article-témoignage de SEA pair-aidance sur le sujet, “Mon parcours d’enfant surdoué” (premier paragraphe cité ci-dessous).

Le QI serait censé calculer la capacité à raisonner logiquement d’une personne, sa capacité intellectuelle. On aimerait bien croire que les tests de QI sont des tests objectifs, ce serait rassurant, car l’intelligence est une notion subjective influencée par la culture, l’éducation, la façon de s’exprimer, la confiance en soi et le stress. Cependant, les tests de QI standards ne font rien pour écarter ces nombreux biais. Certaines questions seront très faciles pour qui a déjà vu un problème similaire à l’école, et demanderont une grande capacité de déduction à la personne pour qui c’est une nouveauté, ainsi que plus de temps. Il s’agit alors d’une évaluation du niveau scolaire.

Le fil Twitter d’une autre personne autiste, @nohecate, sur le sujet, était également éclairant.

Enfin, cet article-témoignage par une personne qui a eu affaire aux centres Cogito’Z a achevé de me mettre en colère, car il s’agit bien là d’exploitation financière et de négligence thérapeutique de personnes fragilisées.

Si le format vidéo vous convient mieux, voyez ci-dessous, Alistair y résume les problèmes que posent le diagnostic de “Haut Potentiel Intellectuel” en moins d’un quart d’heure.

Rémission symptômatique et rémission fonctionnelle

Aujourd’hui, j’aimerais traiter du fait que parfois, on ne recherche pas en priorité une rémission symptomatique mais plutôt une rémission fonctionnelle. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Les symptômes sont les manifestations d’une maladie ; la rémission symptomatique, ce serait ne plus expérimenter les symptômes.

La rémission fonctionnelle, c’est le fait de pouvoir “fonctionner” avec les symptômes : en les réduisant de manière tolérable, en les intégrant à son quotidien comme on intégrerait une autre contrainte.

Vous vous dites peut-être : pourquoi chercherait-on à vivre avec les symptômes plutôt à qu’à les éliminer ?

Souvent, on n’a pas vraiment le choix. Il peut arriver que le médicament proposé pour remédier à un symptôme provoque des effets secondaires trop dérangeants, et on préfère rester avec une gêne qu’on connaît et dont on connaît les contraintes, plutôt que gérer des douleurs difficiles à prévoir.

Je vais prendre un exemple :

Une personne, B., expérimente régulièrement de la déréalisation et de la dépersonnalisation. C’est une expérience perturbante, mais ça fait des années que ça arrive et B. a développé des compétences pour réagir quand cela arrive.

Quelques années auparavant, la déréalisation et la dépersonnalisation déclenchaient de l’anxiété, de la panique, et elle n’osait pas en parler, de peur qu’on veuille l’interner contre sa volonté car c’est un symptôme qui inquiète facilement. Les choses finissaient par s’aggraver ; même si la déréalisation et la dépersonnalisation s’estompaient, B. se retrouvait isolée avec des sensations de terreur et de honte.

Par la suite, B. a pu rencontrer d’autres personnes qui avaient des symptômes similaires. Elle s’est renseignée sur ces expériences et s’est rendue compte que c’était plus courant que ce qu’elle pensait. B. se sent alors moins seule, moins étrange. Le fait d’en parler avec d’autres personnes l’aide à développer de la compassion envers elle-même ; elle cesse de culpabiliser de l’apparition de déréalisation et dépersonnalisation. Plus confiante face à ces phénomènes, B. développe des outils pour faire avec (coping) : quand elle commence à déréaliser, elle appelle quelqu’un-e qui connaît le souci, et discuter lui change les idées et l’aide à s’ancrer dans la réalité. Elle a trouvé des ressources conçues par des pairs avec des astuces pour enrayer la dépersonnalisation. Le fait d’être moins isolée et de ne plus être terrassée par la culpabilité a résulté en un mieux-être considérable, mais les symptômes n’ont pas pour autant disparu. Cependant, la déréalisation et la dépersonnalisation, bien qu’étant des phénomènes handicapants pour B., ne lui gâchent plus la vie. B. considère qu’elle connaît une rémission fonctionnelle au moins partielle : elle constate un mieux-être et une plus grande marge en terme de fonctionnement au quotidien. En revanche, il n’y a pas vraiment de rémission symptomatique, car les symptômes sont toujours présents.

Peut-être que l’intérêt de ce vocabulaire ne vous apparaît pas de manière flagrante. Personnellement, j’étais très intéressée de pouvoir poser des mots précis sur ces concepts qui existaient, flottants, dans mon quotidien et dans mes réflexions. C’est peut-être du jargon*, mais c’est du jargon qui ne me semble pas inutile, loin de là.
Si vous avez des symptômes chroniques, quelles sont vos attentes et vos perspectives ? Rémission symptomatique, rémission fonctionnelle ? Est-ce que vos attentes sont partagées par vos soignant-e-s et votre entourage ? Ce sont des questions intéressantes, il me semble, pour toute personne en situation de handicap chronique.

*J’ai un peu râlé récemment sur le jargon médical et les injonctions faites aux patient-e-s d’éviter le jargon médical, à lire ici : https://twitter.com/d_caius/status/998557231468699648

Si vous rencontrez une personne traumatisée…

… je vais mettre les pieds dans le plat avec une recommandation très claire : ne demandez pas à une personne qui a un stress post-traumatique d’où vient son stress post-traumatique. Sérieux, ne faites pas ça.

Cet article explique cette recommandation, et donne des suggestions pour une approche respectueuse et bienveillante des personnes traumatisées.

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Rappel à propos du rétablissement

Je n’ai pas de source pour ce texte, je crois qu’il provient de tumblr (si vous le retrouvez, laissez un commentaire !). Il traite de ce qu’est la recovery, que j’ai traduit par rétablissement, qui signifie aussi la guérison, la récupération. Ce terme est souvent utilisé pour décrire le travail qu’on fait quand on souffre de stress post-traumatique. J’ai trouvé ce texte très encourageant et juste, et j’espère qu’il résonnera pour certain-e-s d’entre vous également !

Rappel
Le but du rétablissement n’est pas de « tourner la page »
Le but du rétablissement n’est pas le pardon
Le but du rétablissement n’est pas l’indifférence envers les personnes qui vous ont traumatisé-e
Le but du rétablissement n’est pas de redevenir la personne que vous étiez avant le trauma
Le but du rétablissement n’est pas l’élimination de tous les symptômes de stress post-traumatique
Le but du rétablissement n’est pas l’effacement d’émotions fortes autour du trauma
Le but du rétablissement n’est pas la capacité à ne plus jamais penser au traumatisme

Le but du rétablissement est d’arriver à un point où on peut prioriser sa propre sécurité, sa propre autonomie, son amour de soi et son lien avec les autres.

Il ne s’agit pas de passer pour quelqu’un qui n’a pas été traumatisé-e.
Il s’agit plutôt de se connaître et s’aimer un peu plus aujourd’hui qu’il y a un an.

Qu’est-ce que le gaslighting ?

Il y a peu, on m’a demandé d’expliquer ce qu’était le gaslighting, et je me suis dit qu’un article serait bienvenu, car j’ai trouvé peu de ressources francophones sur le sujet (en fait, voici la seule que j’ai trouvée, n’hésitez pas à commenter si vous en avez davantage !).

Voici la définition proposée par Wikipédia :

Le gaslighting, ou gas-lighting est une forme d’abus mental dans lequel l’information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l’abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale. Les exemples vont du simple déni par l’abuseur de moments pénibles qu’il a pu faire subir à sa victime, jusqu’à la mise en scène d’événements étranges afin de la désorienter.

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La résolution de conflits

Ce texte provient des annexes du livre Complex PTSD : From Surviving To Thriving de Pete Walker. Il s’agit de recommandations concernant la résolution de conflits destinées aux couples (cependant, je trouve que cela peut souvent s’appliquer à d’autres conflits).

[Fichier PDF de cet article à télécharger ici]

Outils pour une résolution de conflit aimante

Voici une liste de techniques et perspectives que j’ai collectées au fil des années pour aider les couples à résoudre les conflits de façon aussi aimante que possible. Quand je la donne aux couples avec lesquels je travaille, je leur demande de prendre du temps à la maison pour lire la liste à voix haute ensemble et discuter de chaque point autant que nécessaire, pour voir s’ils peuvent s’entendre afin de l’adopter comme ligne de conduite pour la gestion de conflits.

Quand j’ai commencé à fréquenter mon épouse il y a onze ans, nous avons passé un temps considérable, lors d’un weekend, à discuter chacun de ces outils. Nous avons exprimé nos soucis, enthousiasmes, conditions et réserves pour l’usage de chacun d’entre eux. Au fil des années, nous en avons affiné notre usage, et notre style de communication concernant nos conflits a évolué pour faire croître notre intimité et la maintenir en bonne santé.

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Les abus émotionnels

J’ai remarqué que souvent, lorsque le sujet des abus est abordé, la plupart des gens pensent à des violences physiques. Ainsi, il n’est pas inhabituel qu’une personne ayant subi des violences émotionnelles ne s’en rende pas compte avant un certain moment. Souvent, il faut lire la définition de ces violences pour comprendre qu’on en a été victime.

On parle d’abus émotionnels, ou abus psychiques, lorsqu’une personne est maltraitée et que cela provoque les mêmes symptômes psychologiques que des abus physiques (peur, dépression, trauma, etc).

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Présenter un témoignage sur les questions de santé psychique

Je participe de temps en temps à des interventions de prévention sur la santé mentale. On discute de ce qu’est le handicap psychique, ce qu’est la stigmatisation, les enjeux spécifiques à la santé mentale, et je témoigne de mon vécu avec tout ça. J’ai rédigé un “canevas” avec des conseils et remarques à l’intention des personnes souhaitant également témoigner, le but n’étant pas de dicter un certain discours normé mais de fournir quelques repères.

Si vous êtes concernés par ces problématiques et que vous souhaiteriez participer à ce genre d’initiatives, accueillir une intervention de prévention, organiser une formation sur le sujet, n’hésitez pas à me contacter.

Vous pouvez télécharger le canevas au format PDF ici.

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