Encore une traduction, cette fois-ci d’un article de scriptautistic sur les différences sensorielles, que vous pouvez lire en anglais ici.
Vous pouvez télécharger le PDF de cette traduction ici.
Différences sensorielles
Si vous connaissez un peu l’autisme, ou si cela fait un moment que vous suivez ce blog (@script-autistic, ndlt), vous savez sûrement que nos différences sensorielles constituent l’un des traits autistiques qui ont le plus de conséquences dans nos vies quotidiennes. Les différences sensorielles ont un impact sur tous les domaines de nos vies : ce que nous pouvons faire ou non, là où nous pouvons nous rendre ou non, ce que nous pouvons manger, porter, écouter, ce qui nous fait du bien et ce qui nous fait mal.
Un sujet si vaste nécessite clairement un masterpost. Alors allons-y !
Tout d’abord, voyons en quoi consiste le système sensoriel humain, afin de comprendre les différents domaines où il peut y avoir des différences. C’est en fait bien plus complexe que les cinq sens traditionnels ! Notre système sensoriel est composé de trois parties :
- Extéroception : perception de ce qui vient de l’environnement externe au corps
- Intéroception : perception des états physiologiques internes au corps
- Proprioception : perception de la position des membres et du corps
Ces trois domaines principaux comprennent différentes perceptions (notez que ceci est un modèle, et que d’autres modèles existent) :
- Extéroception: vision, audition, odorat, goût, toucher, mais aussi thermoception (sensation de chaud/froid) et nociception (sensation de douleur)
- Intéroception: nociception (douleur interne), sensation de faim, manque d’oygène, soif, besoin d’uriner, ainsi que le monitorage du rythme respiratoire et du rythme cardiaque.
- Proprioception: la perception kinesthésique (la perception du mouvement et des positions des parties de son corps) et la perception vestibulaire (perception du mouvement du corps ainsi que sa direction et son accélération)
Pour toutes ces perceptions, il est possible que des personnes autistes fonctionnent de manière typique, ou soient hyposensibles (moins sensibles que la plupart des gens), ou soient hypersensibles (plus sensibles que la plupart des gens), ou encore aient des différences de traitement des sensations qui ne sont pas comprises dans le système hypo/hyper.
Le terme clinique qui comprend ces différences est « trouble sensoriel » (« Sensory Processing Disorder », ndlt). Une personne peut expérimenter des troubles sensoriels sans être autiste, mais tous les autistes, ou presque tous, ont des troubles sensoriels.
Cependant, on se doit de faire remarquer que certaines personnes autistes n’aiment pas considérer cela comme un « trouble » (disorder) et préfèrent parler de différences sensorielles.
Il est très important de comprendre que l’hypersensibilité et l’hyposensibilité PEUVENT coexister dans le système sensoriel de n’importe quelle personne. Par exemple, il est possible d’avoir un odorat hypersensible et d’être hyposensible au toucher. On peut aussi être hyper/hyposensible à un seul aspect d’un sens (par exemple, la pression tactile ou la texture, les couleurs vives, ou les goûts sucrés). Il est aussi possible d’être parfois hyposensible et parfois hypersensible à la même chose.
Être hypersensible à un stimulus et y être exposé peut causer de qui est parfois appelé « hyperstimulation sensorielle » ou « surcharge sensorielle » ; cela se traduit en général par de la douleur, de l’inconfort, et des fonctions cognitives perturbées (en d’autres mots, avoir du mal à réfléchir). Si la stimulation est poussée davantage (stimuli très intenses, ou une très longue exposition), cela peut mener à un shutdown ou un meltdown.
Être hyposensible à quelque chose et manquer de stimulation peut se traduire par de l’agitation, de l’inconfort, ou même de la douleur, ainsi qu’une envie intense de stimuli.
Voici quelques exemples de comment l’hypersensibilité à différentes perceptions peut se manifester, de façon comportementale et subjective :
- Vision: Port de lunettes de soleil, peut-être même en intérieur. Évitement des endroits avec des lumières fluorescentes, clignotantes ou trop vives. On peut détester regarder des surfaces de couleur vive. Difficulté avec les espaces visuellement chargés, tels que des foules ou des supermarchés. On peut trouver tout clignotement ou mouvement autour de soi douloureux.
- Audition: On peut entendre des sons que personne d’autre n’entend (il a été testé, chez certain·e·s, une capacité à entendre au-delà de la norme de la gamme humaine). Il est possible qu’on doive porter des écouteurs ou des boules Quiès dans des endroits bruyants. Il est possible qu’on doive éviter les foules ou les événements avec beaucoup de gens, de la musique forte, des cris. Difficulté à supporter le bruit de l’aspirateur, des travaux de construction de l’autre côté de la rue, ou l’horloge qui fait tic-toc dans la pièce adjacente. Il est possible qu’on développe des acouphènes.
- Odorat: Aversion probable pour les endroits avec des senteurs fortes, tels que les parfumeries, les fermes, ou les transports publics bondés. On peut avoir le besoin de se laver, de laver ses vêtements et ses draps très souvent pour avoir un minimum d’odeurs corporelles. Il est possible qu’on ne tolère pas les savons, shampooings ou déodorants parfumés (et il est parfois difficile d’en trouver qui ne soient pas parfumés !). Difficultés avec l’odeur de la nourriture en général, ou avec certaines odeurs en particulier.
- Goût: Il est possible qu’on soit très sélectif·ve en matière de nourriture, tolérant seulement quelques plats très fades (purée, pâtes). Il est possible qu’on ait des difficultés à diversifier suffisamment son alimentation et d’y inclure tous les nutriments requis. Il est possible que l’on mange toujours exactement la même chose.
- Toucher: Difficultés à trouver des vêtements dont on supporte la texture. On peut avoir besoin de couper toutes les étiquettes de nos vêtements. Il est possible qu’on déteste que quiconque nous touche, qu’on tolère un toucher ferme mais trouve douloureux un léger effleurement. Difficultés à porter un vêtement ou accessoire en particulier, par exemple les chaussettes/chaussures, écouteurs ou chapeaux. Il est possible qu’on déteste que les gens touchent nos cheveux, ou qu’il soit très difficile de se brosser les cheveux. On peut trouver quasiment impossible de se brosser les dents à cause de la sensation de friction. Difficultés avec la texture de beaucoup d’aliments, il est possible qu’on soit très sélectif·ve en matière de nourriture à cause de cela.
- Thermoception: Extrême sensibilité au froid ; toujours porter un certain nombre de vêtements, monter le chauffage même quand les autres ne trouvent pas qu’il fasse si froid que ça. Il est possible qu’on soit très sensible à la chaleur et que l’on trouve l’été très difficile à supporter, surtout si on a pas accès à la climatisation. On peut être hypersensible à des changements minimes de la température, avoir froid dès qu’elle diminue ou chaud dès qu’elle augmente, peu importe la température.
- Nociception: Il est possible qu’on soit plus sensibles à la douleur que d’autres personnes, et qu’on trouve très douloureux quelque chose que la plupart des gens supportent sans broncher. (Ce n’est pas du mélodrame ! On ressent vraiment la douleur intensément !)
- Perception vestibulaire: Il est possible qu’on ait très facilement le mal de mer, qu’on soit mal en voiture, etc.
Et voici quelques exemples pour l’hyposensibilité :
- Vision: Difficulté à trouver les choses dans des environnements visuellement chargés. On peut apprécier de regarder des lumières de couleurs vives, ou des objects en mouvement (toupies, doigts qui virevoltent…)
- Audition: On peut ne pas remarquer qu’on nous appelle ou qu’on nous parle, particulièrement quand on est concentré·e. Il est possible qu’on apprécie d’écouter de la musique très fort, de chanter très fort ou de faire beaucoup de bruit.
- Odorat: Il est possible qu’on ne remarque pas les odeurs comme les autres, qu’on apprécie des senteurs fortes telles que le parfum, les huiles essentielles ou l’odeur corporelle. On peut apprécier de renifler la couverture qu’on préfère, une personne qu’on aime beaucoup, un animal de compagnie, ou autre.
- Goût: Capacité à ingérer une quantité impressionnante de nourriture épicée, envie très forte de nourriture ayant un goût prononcé (poivre, citron, sel, sucre…)
- Toucher: Il est possible qu’on aime beaucoup frotter/toucher des textures favorites, ou se masser les mains… On peut aimer et rechercher une pression forte, comme le fait d’avoir un poids au-dessus de soi.
- Thermoception: Il est possible qu’on soit dehors en t-shirt pendant l’hiver, ou qu’on ne soit pas dérangé·e par la chaleur en été, portant même un gilet. On peut apprécier de toucher des choses très chaudes comme des radiateurs ou de l’eau très chaude, ou des choses très froides, comme des glaçons ou de la neige.
- Nociception : Sensibilité à la douleur moindre que d’autres personnes. On peut ne pas remarquer s’être fait mal.
- Perception vestibulaire : Il est possible qu’on aime beaucoup les montagnes russes, les promenades en bateau quand il y a beaucoup de vagues, et qu’on n’ait jamais de mal de mer, la nausée en voiture, etc. On peut apprécier de se balancer ou de se relaxer la tête en bas.
- Perception kinesthésique: Grande maladresse, en l’absence d’une bonne perception de la position de son corps dans l’espace. Tendance à trébucher souvent, pas très bon·ne en sport en général. On peut avoir du mal avec les capacités motrices de finesse tels que l’écriture manuscrite ou la couture. On peut apprécier de faire des mouvements répétitifs tels que battre des mains.
- Intéroception: On peut avoir du mal à se rendre compte qu’on a faim, qu’on a soif, qu’on est fatigué·e, ou qu’on a besoin d’aller aux toilettes. Il est possible qu’on doive mettre des alarmes, ou qu’on ait des heures fixes dans nos routines pour prendre soin de soi (self-care).
Ce ne sont bien sûr que des exemples, et hyper ou hyposensibilité peuvent s’exprimer en d’autant de manières qu’il y a de personnes qui les expérimentent.
Voici des exemples d’autres différences sensorielles que les personnes autistes peuvent expérimenter :
- La synesthésie semble plus fréquente chez les personnes autistes que dans le reste de la population. La synesthésie est définie comme le transfert d’une modalité sensorielle à une autre ; par exemple, voir les sons ou entendre les goûts. Cela signifie aussi associer des couleurs ou des personnalités aux chiffres/lettres. Chez les autistes en particulier, cela peut être une chose très positive (on peut stimmer avec deux sens à la fois!) ou très douloureuse (ces lumières vives sont horribles – ah, maintenant ce sont des bruits stridents aussi).
- Nous avons souvent des difficultés avec le traitement de l’information sensorielle, le discours en particulier, ce qui peut signifier que nous avons du mal à comprendre ce que les gens disent, nous pouvons prendre un certain temps à traiter le discours (ce qui résulte en des conversations comme celle-ci : « Hé, tu peux me passer ce truc s’il-te-plaît ? » « Quoi ? » « J’ai dit, tu peux- » « Ah, oui, bien sûr »), et on peut avoir besoin de sous-titres pour comprendre un film. Traiter l’information de deux sens à la fois peut aussi être difficile, ce qui souvent se traduit par « Je peux soit regarder les images, soit comprendre ce qui est dit ». C’est l’une des causes de nos difficultés avec le fait de regarder les autres dans les yeux.
C’est tout pour aujourd’hui. Nous espérons avoir aidé !
Je suis allée récemment (Nov 2022) a une conférence a Valence sur les violences sexuelle faites aux (personnes assignées) femmes autistes et aux croisements entre l’autisme et les conséquences des.violences sexistes et sexuelles. (Je le dis avec mes mots je ne me rappelle pas l’intitulé exact de la conférence). C’était organisé par planète autisme Drôme Ardèche. Bref. La conférencière, Armelle Vautrot, a notamment démontré comme il y a une symptomatologie commune ou analogique entre le trauma et le TSA féminin. (Ça se sont ses mots par contre)
Elle a dit plein d’autres intéressantes mais je reformule ça parce que ça a été une claque. Des traits autistiques notamment sensoriels (mais pas seulement) peuvent être expliqués par un stress post-traumatique.
Je vous épargne le récit perso de pourquoi c’est une claque d’être mise devant cet état de fait. Mais voilà je voulais vous le dire : Parmi les “cousins” ou “alliées” des autistes il y a des personnes souffrant de SSPT.
J’espère qu’on arrivera à s’allier vraiment !
Mon profond soutien Dcaius pour ce que tu produis.
Tout mon soutien aussi pour les personnes en roue libre qui atterrissent ici comme moi en auto exploration
Bonjour,
Merci pour ce partage ! Je me réjouis que cette conférence ait pu éclairer certaines choses.
Très honnêtement je ne crois pas connaître une seule femme autiste qui ne soit pas aussi traumatisée. Grandir en étant autiste dans une société validiste a déjà de bonnes chances d’être assez traumatisant, mais avec la misogynie par-dessus… Effectivement certains symptômes de stress post-traumatique, notamment certaines différences sensorielles, peuvent faire penser à l’autisme. !
Par contre je ne crois pas vraiment que le “TSA féminin” soit un phénomène qui mérite ce nom ; je vois ça comme l’intersection des injonctions genrées et les traits autistiques qui touchent toutes les personnes autistes. Je veux dire par là que les difficultés combinées de faire face au validisme en tant que personne autiste et de faire face à la misogynie (notamment médicale, mais pas seulement) créent des conditions qui ne favorisent pas le diagnostic. Mais il s’agit pour moi de conditionnements sociaux et pas d’un mystérieux phénomène cérébral qui serait propre au “cerveau féminin”. Le neurosexisme a fait beaucoup de dégâts et continue d’en faire — peut-être que j’enfonce une porte ouverte ici et si c’est le cas je m’en excuse !
Merci beaucoup pour ces mots encourageants en tous cas. Je souhaite, moi aussi, voir du soutien entre les différentes personnes marginalisées, c’est important 🙂