Point vocabulaire

Je vois passer pas mal de discours variés autour des termes “neuroatypique” et “neurotypique” et je voulais faire une petite mise au point.

Logo de l'Autism Network InternationalLe terme “neurotypique” a émergé au sein de Autism Network International (ANI), une organisation de personnes autistes dans les années 90. C’est un mot-valise de “neurologically typical” (neurologiquement typique). Le terme portait une intention satirique : les personnes autistes se voyant constamment désignées avec un vocabulaire très pathologisant, “neurotypique” se voulait une référence à cela, tout comme le terme “alliste” (qui signifie spécifiquement “personne qui n’est pas autiste”) qui apparaît en 2003 avec le texte humoristique d’Andrew Main. L’on disait (et l’on dit toujours) que les personnes autistes n’ont pas d’humour : le terme “neurotypique” était un pied de nez à ce prétendu manque d’humour et à la pathologisation des personnes qui divergent de la norme (autistes ou non).

Le terme “neuroatypique” a émergé comme terme complémentaire, mais n’a jamais vraiment été synonyme de “personne autiste”. Pourquoi l’aurait-il été ? “Autiste” n’est pas une insulte, et les militant-e-s autistes des années 90 le revendiquaient déjà. Il est beaucoup plus logique d’utiliser le terme “neuroatypique” quand on veut inclure des personnes divergeant de la norme mais n’étant pas autistes, que pour désigner des personnes autistes.

Cependant, à l’heure actuelle cette histoire du terme n’est plus très connue, et le terme “neuroatypique” provoque plus de confusion qu’autre chose : certain-e-s l’utilisent pour parler de la population autiste tandis que d’autres l’entendent comme un terme ombrelle plus large. Cela provoque beaucoup de conflits et d’incompréhensions. Le vocabulaire, lorsqu’il provoque plus d’incompréhension que de compréhension, est appelé à évoluer. Il ne sert à rien de s’accrocher à tout prix à un terme pour des raisons historiques quand il n’est plus porteur du sens que l’on souhaite.

J’ai donc pris le parti d’utiliser “neurodivergent-e” pour désigner les personnes qui ne sont pas neurotypiques, car l’étymologie a le mérite d’être, il me semble, claire et logique : il s’agit de personnes qui divergent de la norme. La norme peut évoluer. La norme actuelle est oppressive et exclut. Nous luttons pour que la neurodiversité soit acceptée. Il n’y a pas ainsi pas de confusion sur la personnalité originale ou la stigmatisation de certaines personnes allistes ou je ne sais quel débat stérile qui s’engage souvent quand on utilise “neuroatypique”. Il y a des personnes qui sont jugées acceptables selon une norme et d’autres non ; ce n’est pas un jugement de valeurs de l’originalité des personnes, c’est un constat sur la structure de la société qui valorise certains fonctionnements au détriment des autres.

“Toutes sortes de corps, toutes sortes de cerveaux”

 

J’inclus dans la population “neurodivergent-e” les personnes qui ont des problèmes d’addiction, les personnes avec le syndrome de Down, les personnes ayant un stress post-traumatique, les personnes avec un trouble anxieux ou dépressif, les personnes dites psychotiques, etc. C’est un terme ombrelle : la population sous l’ombrelle est vaste et diversifiée.

 

J’utilise “personnes autistes” pour désigner les personnes autistes, point barre. Il n’y a pas de honte à être autiste. Quand je parle d’une problématique spécifique aux personnes autistes (par exemple, la torture des enfants autistes par Ivar Lovaas dans le cadre de ses recherches ayant mené à l’Applied Behaviour Analysis), je ne vois pas l’utilité d’un autre terme. Si j’utilise “neurodivergent-e-s”, c’est délibéré et cela inclut d’autres personnes que les autistes (par exemple, “les personnes neurodivergent-e-s se voient souvent psychiatriser et interner contre leur gré”).

J’ai vu des critiques de l’utilisation du terme “neuroatypique” comme synonyme de “neurodivergent-e” sous prétexte que cela encourageait à comprendre l’autisme comme une pathologie. Je dois dire que j’aimerais qu’on arrête d’essayer de mettre d’un côté les personnes neurodivergentes “malades” et de l’autre les personnes neurodivergentes “non malades”. Ce réflexe a un fondement validiste. En fait, l’enjeu de la pathologisation n’est absolument pas limité aux personnes autistes. Le militantisme des personnes psychiatrisées contre la psychiatrie répressive et les classifications stigmatisantes a une longue histoire. Par exemple, en France il y a un réseau d’entendeur-euse-s de voix qui mettent en avant que l’entente de voix n’est pas forcément à considérer comme un symptôme pathologique mais peut s’appréhender comme un phénomène porteur de sens pour les personnes concernées.

Pour résumer

Le terme “neurotypique” désigne les personnes qui se trouvent dans la norme actuellement acceptable et qui ne sont pas pathologisées. Le terme “alliste” désigne les personnes qui ne sont pas sur le spectre autistique.

Le terme “neurodivergent-e” est un terme ombrelle qui inclut toutes les personnes divergeant de la norme actuelle.

Le terme “neuroatypique” était un terme ombrelle similaire qui est maintenant utilisé de manière différente, provoquant confusion et incompréhension ; il est donc voué à être remplacé pour une meilleure compréhension.

Si vous voulez mettre en avant que vous êtes neurodivergent-e mais pas malade, merci de le faire sans jeter sous le bus les autres neurodivergent-e-s dans un réflexe validiste.

Validisme et psyvalidisme

Qu’est-ce que le validisme ?

Le validisme est la discrimination envers les personnes en situation de handicap. On parle parfois de capacitisme. En anglais, le terme est ableism.

Quelques pictogrammes illustrant différents types de handicaps

Je vous recommande vivement cette vidéo de Parmi Les Récits qui présente certains aspects du validisme :

Point vocabulaire : en français, les termes “handi-e-s” et “valides” sont utilisés pour désigner respectivement les personnes en situation de handicap, et les personnes qui ne sont pas en situation de handicap.

Les personnes ayant à rationner leur énergie du fait d’un handicap chronique utilisent souvent le terme de “spoonie” pour se désigner, en référence à la théorie des cuillers (spoons en anglais)– la théorie des cuillers est expliquée ici en vidéo par Vivre Avec, et le texte original qui a donné naissance au terme est disponible en français ici.

Une cuillère sur laquelle est gravée “I saved a spoon for you” : “J’ai gardé une cuiller pour toi” (source)

En France, le Collectif Luttes et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation (CLHEE), créé en 2016, fait entendre ses revendications. Allez lire leur manifeste !

Si vous n’aviez jamais entendu parler de validisme, que vous ne comprenez pas trop a priori en quoi le handicap serait une situation, et que tout ceci vous laisse un peu confus-e, la lecture de cet excellent article qui explique ce qu’est le modèle social du handicap sera probablement utile.

Récemment, la sortie du film “Tout le monde debout” a fait réagir les personnes handies, qui ont créé le hashtag #ToutLeMondeSeFoutDeNous. La militante du CLHEE Elisa Rojas s’est exprimée dans cette vidéo à ce sujet, notamment pour expliquer ce qu’est le validisme.

Psyvalidisme

Pour les discriminations qui visent le handicap psychique*, on utilise les termes de psychophobie ou de psyvalidisme. Personnellement, j’en suis venue à préférer le terme psyvalidisme, pour des raisons très bien expliquées par SEA Pair-Aidance dans ce fil twitter. Je cite : “Rendons à “phobie” son sens véritable, cessons d’associer un symptôme à de la haine et à un choix de maltraiter une minorité.

Pour plus d’infos sur le psyvalidisme, voici quelques pistes :

  • SOSPsychophobie est un collectif féministe de personnes psychiatrisées en lutte contre l’oppression validiste et les violences psychophobes ; à retrouver sur Twitter et sur Facebook.
  • Le blog BD Ta Gueule Boris sur le vécu avec la schizophrénie
  • Le site de Biaise a toute une catégorie consacrée au psyvalidisme
  • Le hashtag #NotMyShrink avait été utilisé il y a quelques années sur Twitter pour témoigner de vécus de psyvalidisme (la plupart des tweets sont en anglais)
  • Le blog de Lana, BlogSchizo, présente des témoignages, des recommandations de lecture, différentes ressources, et notamment un livre, “Pour une psychiatrie bientraitante”, disponible en PDF, co-écrit avec un infirmier.
  • L’initiative PayeTonPsy souligne l’intersection du validisme et du sexisme en présentant des témoignages de sexisme ordinaire et discrimination de la part de soignant-e-s.

*handicap psychique : Le terme a été porté depuis les années 70 par une association de familles (l’UNAFAM) pour désigner le handicap lié aux troubles psychiques. Le handicap psychique serait donc distinct des handicaps mentaux et cognitifs : cette distinction est en soi un peu illogique et validiste… SEA a écrit ce fil Twitter sur le sujet dont je recommande vivement la lecture. Pour approfondir sur le sujet des handicaps psychiques, et notamment sur l’histoire de la notion et les réflexions et polémiques générées par ces termes, je recommande le livre “Handicap psychique : questions vives“.

Il y aurait bien davantage à dire sur le handicap ; je m’arrête là pour ne pas faire un article interminable, mais j’y reviendrai sûrement. N’hésitez pas à commenter avec vos recommandations de ressources (blogs, livres, vidéos, etc) !

Autisme : acceptation et non sensibilisation !

Sensibilisation ?

Le concept de “Autism Awareness Month”, le mois de la sensibilisation à l’autisme, a émergé dans les années 70 aux États-Unis. La journée mondiale de sensibilisation à l’autisme est le 2 avril.

L’association française “Vaincre l’autisme” véhicule une approche très pathologisante de l’autisme

La manière dont ces campagnes de “sensibilisation” sont menées a été dénoncée comme déshumanisante par les activistes autistes : on présente l’autisme comme un trouble tragique, on essaye de susciter la peur et la pitié, on récolte des fonds avant tout pour la recherche d’un “remède” plutôt que pour améliorer les conditions de vie des personnes autistes, on promeut des “thérapies” abusives, etc.

Dans le monde anglophone, ce mouvement est porté surtout par Autism Speaks et sa campagne “Light it up blue”.

En France, on voit une approche similaire avec l’association Vaincre l’autisme.

Acceptation !

En réponse à cette “sensibilisation” stigmatisante, dès 2011 s’organise “Autism Acceptance Month”, mois de l’acceptation de l’autisme (on doit l’initiative à l’activiste autiste Paula Dustin Westby).

Le mois de l’acceptation de l’autisme, c’est donc l’occasion de combattre les campagnes de sensibilisation stigmatisantes, informer de manière juste et respectueuse, et célébrer la culture autiste.

Il y a beaucoup de ressources anglophones à disposition sur le sujet, notamment le site http://www.autismacceptancemonth.com Amethyst Schaber a fait une vidéo sur ce sujet qui est très claire (les sous-titres français devraient arriver bientôt !). Vous pouvez aussi explorer les hashtags suivants sur les réseaux sociaux : #AutismAcceptanceMonth,  #ActuallyAutistic, #REDinstead, #NothingAboutUsWithoutUs.

J’avais à cœur de proposer des ressources francophones également, en voici donc :

  • En 2015, Eli a écrit un court texte très clair à ce sujet, que je vous recommande vivement. Voir aussi son blog autiepearl, qui explore notamment l’histoire de l’activisme autiste.
  • Le texte de Jim Sinclair “Ne nous pleurez pas” est emblématique des revendications des personnes autistes face aux discours pathologisants. Il date de 1993, et malheureusement il est toujours d’actualité !
  • Sur Twitter, le compte @RadioAutiste relaie les témoignages de personnes autistes durant tout le mois d’avril. Vous pouvez aussi les retrouver via le hashtag #RadioAutiste.

Je posterai probablement d’autres ressources en lien avec l’autisme durant ce mois ; à tout bientôt !

Lecture : “J’ai survécu à la psychiatrie”

Je viens de finir J’ai survécu à la psychiatrie, un livre-témoignage écrit par Christelle Rosar, publié en 2013.

C’est relativement court, écrit de manière plutôt accessible — pas besoin de connaître tout le jargon relatif à la psychiatrie pour comprendre ce qu’il se trame, mais on apprend pas mal de choses au passage.

Les faits racontés par Christelle Rosar se passent dans les années 90 et 00, c’est relativement récent, et même si les lois ont évolué un peu depuis, un certain nombre d’abus dénoncés sont malheureusement toujours possibles aujourd’hui.

Ce livre m’a appris l’existence d’Advocacy, une association d’usagers en santé mentale qui oeuvre depuis 1997. En 2000, Advocacy créé des groupes Espaces Conviviaux Citoyens : le concept de GEM (Groupes d’Entraide Mutuelle) est construit sur ce modèle d’autogestion par et pour les membres. si vous souhaitez en trouver un près de chez vous, le site Psycom a fait une carte interactive des GEM en France.

Pour rappel, en France; la reconnaissance du handicap psychique arrive avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et c’est cette loi qui favorise le développement des GEM. Intéressant d’apprendre l’histoire du militantisme derrière les lois !

Bref — je vous encourage vivement à lire J’ai survécu à la psychiatrie et à le recommander autour de vous.

Voici le résumé de la 4ème de couverture :

1,8 millions de personnes sont directement concernées par la psychiatrie en France. 350 000 sont en hôpital. Pour 1000 habitants, il y aurait 1’hospitalisation sous contrainte. Pourtant, ce système, générateur d’exclusion sociale et de stigmatisation, domine.

Internée à 16 ans, Christelle Rosar a enchaîné pendant vingt ans les hospitalisations. On l’attache, on lui injecte des médicaments, on la maintient dans un état végétatif. Elle a vu des patients rester à l’hôpital de leur adolescence à leur mort, d autres subir peu à peu les effets secondaires des traitements.

Aujourd’hui affranchie, elle nous raconte ses luttes pour retrouver son autonomie et sa place au sein de la société, dénonce les abus et les failles du système psychiatrique français, particulièrement violent.

Une bande dessinée par Calvin Arium

Calvin Arium a fait une bande dessinée qui parle de son expérience avec le stress post-traumatique en tant que personne autiste, et il m’a permis de la reposter ici.
(Voici le post original sur tumblr, si vous voulez l’y rebloguer)

Vous pouvez retrouver Calvin Arium

sur twitter : https://twitter.com/DeadeyeCyborg

sur tumblr : https://calvin-arium.tumblr.com

Réflexions sur la socialisation et l’isolement des personnes traumatisées

L’isolement subi à cause de milieux de socialisation discriminants

J’entends parfois des discours assez péjoratifs envers l’agoraphobie, la phobie sociale, ou tout simplement la méfiance envers des environnements excluants. C’est plutôt navrant de s’entendre dire que certaines personnes “choisissent de se mettre à l’écart”, quand leur repli est une réaction à des rejets.

Je prends un exemple concret : que faire d’autre que prendre des distances de sa communauté religieuse quand on y est discriminé-e parce qu’on n’est pas hétérosexuel·le? Il ne faut pas sous-estimer le poids d’une telle discrimination, même lorsqu’on n’est pas “out” dans la communauté en question. Entendre des discours du type “nous ne sommes pas contre les homosexuels, mais contre l’homosexualité” dans la communauté dans laquelle on a grandi, c’est d’une violence incroyable. Cela me paraît évident, mais j’ai malgré tout rencontré des gens qui estiment que cette mise à l’écart est au moins en partie à la charge des personnes discriminées, qui ne chercheraient pas à “s’intégrer”. Mais comment s’intégrer dans un milieu où on est nié dans son humanité ? Présumer que quelqu’un d’isolé n’a pas cherché à rejoindre une communauté avant son isolement social relève d’une ignorance ou d’une mauvaise foi incroyable !

La phobie sociale n’est pas un choix. Quand on en vient à avoir peur de ses semblables au point où on ose à peine sortir de chez soi, ce n’est pas parce qu’on est “trop sensible” ou qu’on n’a pas assez essayé, n’en déplaise à certain·es privilégié·es qui refusent de reconnaître les nombreuses discriminations bien ancrées dans notre société.

Certains facteurs de mise à l’écart peuvent être considérés comme un choix, d’autres non. Encourager les personnes traumatisées à absorber encore et encore la responsabilité des abus qu’iels ont subi est très dangereux ! Comment ne pas finir par s’isoler lorsque l’on a vécu traumatisme sur traumatisme infligés par des entourages malveillants ?

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